Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cet horrible passage, et que nous entendîmes le sourd mugissement des eaux s'élever des profondeurs de ces gouffres, nous fûmes saisis d'épouvante, et nous descendîmes de cheval. Mais tout le monde nous cria aussitôt de remonter. On nous dit que les chevaux, accoutumés à un semblable voyage, auraient le pied plus sûr que nous ; qu'il fallait les laisser aller à volonté, nous contentant de nous tenir solidement sur les étriers, et d'éviter de regarder à coté de nous. Nous recommandâmes notre âme à Dieu, et nous nous mimes à la suite de la colonne. Nous ne tardâmes pas à nous convaincre qu'il nous eût été eu effet impossible de garder longtemps l'équilibre sur ce terrain glissant et scabreux. Il nous semblait toujours qu'une force invincible nous attirait vers ces abîmes insondables. De peur d'être saisis par le vertige, nous tenions la tête tournée contre la montagne, dont la coupure était quelquefois tellement droite et unie, qu'elle n'offrait pas même un étroit rebord où les chevaux pussent placer leur pied. On passait alors sur de gros troncs d'arbres couchés sur des pieux enfoncés horizontalement dans la montagne. A la seule vue de ces ponts affreux, nous sentions une sueur glacée ruisseler de tous nos membres. Cependant il fallait toujours avancer ; car reculer ou descendre de cheval, étaient deux choses absolument impossibles.

Après être restés pendant deux jours entiers perpétuellement suspendus entre la vie et la mort, nous quittâmes enfin cette route, la plus horrible et la plus dangereuse qu'on puisse imaginer, et nous arrivâmes à Alan-To. Tout le monde était transporté de joie, et on se félicitait mutuellement de n'avoir pas roulé dans l'abîme. Chacun racontait,