Page:Huet - Étude sur les différentes écoles de violon.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

94 ÉCOLE FRANÇAISE. — VIOTTI.

chantée devant celui qui en était l’objet, on le pria de jouer; son attendrissement était porté au dernier degré : toutefois, il se rendit aux instances. II faut remarquer qu’à l'exceplion de quelques amis, personnene ne l'avait entendu depuis plus de trente ans ; il exécuta son 29° concerto en mi mineur avec sa verve accoutumée. Hélas! ce fut le chant du cygne ; nous l'entendîmes pour la dernière fois ; mais cet adieu était un début pour la plupart des auditeurs. Qu’on imagine, s’il est possible, ce qu’un tel concours de circonstances devait ajouter de grandeur au talent de l’artiste, et de pathétique à l’effet du morceau. Nous avions amené plusieurs de nos élèves. L’un d’eux[1] au premier son tiré de l’instrument par Viotti, fut tellement ému, qu’il se mit à fondre en larmes ; bientôt, il sanglotta si haut, que nous fûmes obligés de nous placer devant lui pour le dérober aux regards de celui qui captivait notre âme tout entière ; comme ce berger du Poussin, qui cache aux yeux d’Orphée, Eurydice défaillante, pour ne rien perdre des accents du chantre divin.

Viotti directeur de l'Opéra

Le désir de se fixer en France et quelques autres motifs qu’il est inutile d’exposer ici, déterminèrent Viotti à accepter la direction de l’Académie royale de musique, en 1819. Il fut à la tête de cette administration à une époque funeste, où l’Opéra déplacé avait perdu ses principaux avantages, et où tout devait contrarier les vues d’amélioration, quelles qu’elles fussent. Nous avons vu Viotti malheureux de ne pouvoir faire le bien qu’il projetait et de se trouver dans un élément étranger à ses goûts, comme à ses occupations habituelles; il soupirait après l’indépendance qu’il avait si bien su

  1. Qui depuis a remporté le 1er prix de violon sur le 19° concerto, à l’Ecole royale, en 1824.