Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/19

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d’avoir pour ami l’ours qui ne sait écraser qu’avec le pavé de la censure les allusions imperceptibles qui viennent se poser sur leur visage.

Nous ne savons même pas si nous n’aurons pas dans la lutte quelque indulgence pour le ministère lui-même. Tout ceci, à vrai dire, nous inspire une grande pitié. Le gouvernement de juillet est tout nouveau né, il n’a que trente mois, il est encore au berceau, il a de petites fureurs d’enfant. Mérite-t-il en effet qu’on dépense contre lui beaucoup de colère virile ? Quand il sera grand, nous verrons.

Cependant à n’envisager la question, pour un instant, que sous le point de vue privé, la confiscation censoriale dont il s’agit cause encore plus de dommage peut-être à l’auteur de ce drame qu’à tout autre. En effet, depuis quatorze ans qu’il écrit, il n’est pas un de ses ouvrages qui n’ait eu l’honneur malheureux d’être choisi pour champ de bataille à son apparition, et qui n’ait disparu d’abord pendant un temps plus ou moins long sous la poussière, la fumée et le bruit. Aussi quand il donne une pièce au théâtre, ce qui lui importe avant tout, ne pouvant espérer un auditoire calme dès la première soirée, c’est la série des représentations. S’il arrive que le premier jour sa voix soit couverte par le tumulte, que sa pensée ne soit pas comprise, les jours suivants peuvent corriger le premier jour. Hernani a eu cinquante-trois représentations ; Marion de Lorme a eu soixante et une représentations ; Le Roi s’amuse, grâce à une violence ministérielle, n’aura eu qu’une représentation. Assurément le tort fait à l’auteur est grand. Qui lui rendra intacte et au point où elle en était cette troisième expérience