Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/233

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Me  ODILON BARROT  : La première influence est celle de la police municipale. Si l’ordre est troublé par la représentation d’une pièce, si l’on craint pour les représentations suivantes le renouvellement de pareils désordres, je conçois que l’autorité intervienne et prenne des mesures pour faire cesser la cause du trouble.

La seconde influence est celle de la censure dictatoriale qui s’exerçait sous la Convention et sous l’Empire, et qui existait encore sous la Restauration.

La troisième est l’influence de protection et de subvention ; l’autorité qui subventionne un théâtre pour lui intimer, sous peine de perdre ses bienfaits, de ne plus jouer telle ou telle pièce.

Nous ne sommes dans aucun de ces cas ; nous n’avons point vu par une anomalie que sans doute la loi sur l’organisation municipale de Paris fera cesser bientôt, nous n’aurons pas vu le préfet de police et les commissaires de police exerçant le pouvoir municipal, mettre un terme aux représentations du drame. Ce n’est pas non plus le ministre de la police qui a usé des droits de censure, c’est le ministre des travaux publics qui a empiété sur les pouvoirs de son collègue. Ainsi ce pauvre ministère de l’intérieur (rires ironiques dans la même partie de la salle d’où vient tout le bruit), ce ministère de l’intérieur, déjà si mutilé, qui fait incessamment des efforts pour couvrir sa nudité et ressaisir quelques-unes des attributions qui lui ont échappé, se voit dépouillé par le ministre des travaux publics de son droit de police sur les théâtres.

Le ministre des travaux publics n’a pu intervenir que d’une seule manière et en menaçant la Comédie-Française de lui retirer la subvention que la loi du budget accorde aux théâtres royaux. Cette considération ne saurait intéresser l’auteur, ni influer sur la décision du tribunal. Le théâtre doit exécuter ses engagements, dût-il perdre sa subvention. En passant le contrat, il a dû calculer toutes les chances. Serait-on admis à refuser l’exécution d’un engagement vis-à-vis d’un tiers, sous prétexte que cette convention déplaît à un bienfaiteur, à un parent dont on attend un legs ou dont on peut craindre l’exhérédation.

Je ne professe point la liberté absolue du théâtre ; ce n’est point ici le lieu de nous livrer à des théories absolues, surtout lorsqu’elles ne sont pas nécessaires ; mais enfin la censure dramatique, comme toute autre censure, est abolie par la Charte de 1830. Un article formel dit que la censure ne pourra être rétablie. Aussi vers la fin de 1830, M. de Montalivet, alors ministre de l’intérieur, présentant sur la police des théâtres un projet auquel il n’a pas été donné suite, disait dans l’exposé des motifs : La censure est morte !

Mais ce qu’on voudrait rétablir ce ne serait point la censure préventive, ce serait une censure bien autrement dangereuse, la censure à posteriori. On laisserait une administration théâtrale faire des frais énormes de décorations et de costumes, on laisserait jouer la première représentation, et tout d’un coup la pièce serait arbitrairement interdite. Voilà une mesure à laquelle la Comédie-Française aurait dû elle-même ne pas obéir avec tant de docilité. Nous ne saurions trop nous étonner de voir qu’elle n’a pas attendu le 24 novembre l’ordre qui n’a été signé que le 10 décembre suivant ; elle s’est contentée d’une simple intimation verbale, peut-être de quelques mots échappés dans la conversation du ministre.

Elle doit donc supporter la peine de l’inexécution de ses engagements vis-à-vis de nous, et cette infraction ne peut se résoudre qu’en des dommages et intérêts.

Nous vivons, Messieurs, à une singulière époque, à une époque de transition et de confusion, car nous vivons sous l’empire de quatre à cinq législations successives, qui se croisent et se contredisent les unes les autres. Il n’y a que les tribunaux qui puissent,