Page:Hugo Œuvres complètes tome 5.djvu/240

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s’envelopper au milieu d’une discussion. (On rit.) Il est devenu, en quelque sorte, insaisissable ; il vous a prié de permettre à lui, homme politique, de ne pas prendre parti et de ne pas vous dire le fond de sa pensée, car sa pensée n’est pas encore définitivement arrêtée.

Or, je dis à mes adversaires : Mettez-vous donc d’accord. Si vous ne voulez pas la censure, dites-le franchement ; si vous en voulez, homme populaire, ayez le courage de le dire avec la même franchise, car il y a courage à braver les fausses opinions dont le public est imbu et à proclamer ostensiblement la vérité.

Je ne m’étonne pas, au surplus, de cette hésitation de mon adversaire. Lorsque M. Odilon-Barrot fut appelé, comme membre du conseil-d’État, à donner son avis sur la liberté des théâtres, il a reconnu la nécessité de la répression préventive ; seulement il ne voulait pas qu’elle restât dans les mains de la police. Un des préfets de police qui se sont succédé depuis la révolution, M. Vivien, a partagé le même avis. Qu’on ne vienne donc plus nous présenter la censure dramatique comme une attaque à la Charte avec effraction, et que M. Hugo, dans son langage énergique et pittoresque, ne se vante pas de souffleter un acte du pouvoir avec quatre articles de la Charte.

Toutes les lois sur les théâtres subsistent ; elles ont été exécutées sous le régime du Directoire ; aucune n’a été révoquée. Pouvait-il en être autrement ? Telle pièce peut être sans danger dans un lieu, et présenter dans d’autres les plus grands périls. Supposez, en effet, la tragédie de Charles IX, le massacre de la Saint-Barthélemy représenté sur le théâtre de Nîmes, dans un pays où les passions ou les haines entre les catholiques et les protestants sont si exaltées, et jugez l’effet qui en résulterait.

De trois espèces d’influence de l’autorité sur les théâtres dont vous a parlé mon adversaire, la seconde, celle de la censure, subsiste. En parlant de la première, celle de l’autorité municipale, mon adversaire est tombé en contradiction avec lui-même : car la loi de 1790 défend aux municipalités de s’immiscer dans la police des théâtres. L’influence des subventions n’aurait pas dû être traitée par un auteur dramatique.

Cependant mon adversaire insiste ; il prétend que c’est le ministre de l’intérieur et non le ministre des travaux publics qui devrait être chargé de la police des théâtres ; il s’est attendri sur ce pauvre ministre de l’intérieur dépouillé d’une de ses plus importantes attributions. Hé bien ! la police des théâtres est, aussi bien que les subventions, dans les attributions du ministre des travaux publics. C’est ce ministre et non celui de l’intérieur qui a été mis en cause dans l’affaire de la pièce du Maréchal Ney.

Pourquoi, dit-on, le ministre n’a-t-il pas exercé envers M. Victor Hugo la censure préventive, ce que mon adversaire appelle la bonne censure ? La raison en est simple. Le ministre a dit à M. Victor Hugo, qui se refusait à la censure : Je ne vous demande pas le manuscrit de votre pièce ; mais donnez-moi votre parole d’honneur que la pièce ne contient rien de contraire à la morale. La parole a été donnée ; voilà pourquoi la pièce a été permise sans examen.

M. VICTOR HUGO : Je demanderai à répondre à cette assertion du défenseur… (Bruits divers.)

Me CHAIX-D’EST-ANGE : Les censeurs, j’en conviens, ont tué la censure ; ils l’ont souvent rendue odieuse ; mais que l’on se rassure : nos mœurs publiques et l’opinion publique sont toutes puissantes en France. Il ne serait pas dans le désir ni dans le pouvoir du gouvernement d’arrêter une pièce qui n’offrirait aucun danger pour la tranquillité ou pour la morale. Que M. Victor Hugo fasse un chef-d’œuvre (et il a assez de talent pour le faire), qu’il parle des bienfaits de la liberté, comme il parlait autrefois des bienfaits de