Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Actes et Paroles, tome I.djvu/172

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Messieurs, s’il n’y avait rien de vrai, il n’y aurait aucun danger. La société pourrait dédaigner et attendre. Pour que l’imposture ou l’erreur soient dangereuses, pour qu’elles pénètrent dans l’esprit des masses, pour qu’elles puissent percer jusqu’au cœur même de la société, il faut qu’elles se fassent une arme d’une partie quelconque de la réalité. La vérité ajustée aux erreurs, voilà le péril. En pareille matière, la quantité de danger se mesure à la quantité de vérité contenue dans les chimères. (Mouvement.)

Eh bien, disons-le précisément pour trouver le remède, il y a au fond du socialisme une partie des réalités douloureuses de notre temps et de tous les temps (chuchotements) ; il y a le malaise éternel propre à l’infirmité humaine ; il y a l’aspiration à un sort meilleur, qui n’est pas moins naturelle à l’homme, mais qui se trompe souvent de route en cherchant dans ce monde ce qui ne peut être trouvé que dans l’autre. (Vive et unanime adhésion.) Il y a des détresses très grandes, très vives, très vraies, très poignantes, très guérissables. Il y a enfin, et ceci est tout à fait propre à notre époque, il y a cette attitude nouvelle donnée à l’homme par nos révolutions, qui l’ont placé si haut et constaté si hautement la dignité humaine et la souveraineté populaires ; de telle sorte qu’aujourd’hui l’homme du peuple souffre avec le sentiment double et contradictoire de sa misère résultant du fait, et de sa grandeur résultant du droit. (Profonde sensation.)

C’est tout cela, messieurs, qui est dans le socialisme, c’est tout cela qui s’y mêle à des erreurs et à des passions mauvaises, c’est tout cela qui en fait la force, c’est tout cela qu’il faut en ôter.

Voix nombreuses. — Comment ?

M. Victor Hugo. — En éclairant ce qui est faux, en satisfaisant ce qui est juste. (C’est vrai !) Une fois cette opération faite, faite consciencieusement, loyalement, honnêtement, le socialisme disparaît. En lui retirant ce qu’il peut avoir de vrai, vous lui retirez ce qu’il a de dangereux. Ce n’est plus qu’un informe nuage d’erreurs que le premier souffle emportera.

Trouvez bon, messieurs, que je complète ma pensée. Je vois à l’agitation de l’Assemblée que je ne suis pas pleinement compris. La question qui vous est soumise est grave. C’est la plus grave de toutes celles qui peuvent être traitées devant vous.


Je ne suis pas, Messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. (Mouvements divers.)

Remarquez-le bien, Messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures à droite.) La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ;