Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/100

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— En effet, ai-je dit, c’étaient deux cerveaux faits à peu près de la même façon. Seulement ils logeaient une idée différente. Voilà tout.

— Et ils étaient organisés, a repris M. Royer-Collard, pour aller l’un et l’autre au bout de leur idée. Charles X devait faire ce qu’il a fait. C’était fatal. Je le savais, je connaissais le roi, je le voyais de temps en temps ; comme j’avais été royaliste, il m’accueillait bien, il me traitait avec bonté. J’avais prévu sans peine le coup qu’il méditait. M. de Chateaubriand pourtant n’y croyait point. Il vint me voir à son retour de son ambassade de Rome et me demanda ce que j’en pensais. Je lui dis la chose. Les avis étaient partagés. Les meilleurs esprits doutaient que tant de démence fût possible. Mais moi, je ne doutais pas. Le jour où je portai au roi l’adresse des deux cent vingt et un, c’était vers la fin de février 1830, je pourrais dire que je lus l’événement de Juillet dans ses regards.

— Comment vous reçut-il ? demandai-je.

— Bien. Froidement. Avec gravité. Avec douceur. Je lui lus l’adresse simplement, avec fermeté pourtant, sans appuyer sur les passages et sans les dissimuler. Le roi écouta cela comme autre chose. Quand j’eus fini... — Ici M. Royer-Collard s’est interrompu et il a ajouté, toujours avec le même triste sourire : — Ce que je vais vous dire là est peu royal... Quand j’eus fini de parler, — le roi était assis sur ce qu’on appelait le trône, — il tira de dessous sa cuisse un papier qu’il déplia et qu’il nous lut. C’était sa réponse à notre adresse. D’ailleurs, il ne manifesta pas de colère. Il en avait montré beaucoup, deux ans auparavant, à l’époque d’une autre adresse, — vous savez. Monsieur Ballanche, — de celle qu’avait rédigée M. Delalot. L’usage était de communiquer l’adresse de la Chambre la veille au soir afin que le roi pût préparer sa réponse. Quand le roi reçut l’adresse Delalot, les ministres étaient présents, il entra dans une telle colère qu’on l’entendit crier du Carrousel. Il déclara tout net qu’il ne recevrait pas l’adresse, qu’il casserait la Chambre. C’était une vraie fureur, et qui était au comble. Le moment était périlleux. M. de Portails, qui était alors garde des sceaux, se risqua. Vous connaissez M. de Portalis, Monsieur Victor Hugo, je ne vous le donne pas pour un héros, mais voyez ce que peut une parole honnête sur un esprit obstiné. M. de Portalis, debout devant Charles X, se borna à lui dire : — Si telles sont les intentions du roi pour demain, il faut que le roi nous donne dès à présent ses ordres pour après-demain. — Chose remarquable, ce peu de paroles fit tomber la colère de Charles X, eexigui pulveris jactu. Il se tourna avec dépit vers M. de Martignac et lui dit : — Eh bien, Martignac, je les recevrai, mais mettez-vous là à cette table, prenez une plume, et faites-moi une réponse verte et dure et digne du roi de France. — M. de Martignac obéit. Pendant qu’il écrivait, la colère du roi tomba