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II

LA DUCHESSE D’ORLÉANS.


Mme la duchesse d’Orléans est une femme rare, d’un grand esprit et d’un grand sens. Je ne pense pas qu’on l’apprécie complètement aux Tuileries. Le roi pourtant en fait haute estime, et cause souvent très particulièrement avec elle. Il lui arrive fréquemment de lui donner le bras le soir pour la reconduire du salon de famille à ses appartements. Il ne paraît pas que les princesses brus lui fassent toujours aussi bon visage.




26 février 1844.

Hier, Mme la duchesse d’Orléans me disait : — Mon fils n’est pas ce qu’on peut appeler un enfant aimable. Il n’est pas de ces jolis petits prodiges qui font honneur à leur mère, et dont on dit : — Que d’à-propos ! que d’esprit ! que de grâce ! Il a du cœur, je le sais, il a de l’esprit, je le crois ; mais personne ne sait et ne croit cela que moi. Il est timide, farouche, silencieux, effaré aisément. Que sera-t-il ? je l’ignore. Souvent à son âge un enfant dans sa position comprend qu’il faut plaire, et se met, tout petit qu’il est, à jouer son rôle. Le mien se cache dans la jupe de sa mère et baisse les yeux. Tel qu’il est, je l’aime ainsi. Je le préfère même. J’aime mieux un sauvage qu’un comédien.




Août 1844.

M. le comte de Paris a signé l’acte de naissance de la princesse Françoise de Joinville. C’est la première fois que le petit prince signait son nom. Il ne savait ce qu’on lui voulait, et quand le roi lui a dit en lui présentant l’acte : — Paris, signe ton nom, l’enfant a refusé. Mme la duchesse d’Orléans l’a pris entre ses genoux, et lui a dit un mot tout bas. Alors l’enfant a pris la plume et, sous la dictée de son aïeul, a écrit sur l’acte L. P. d. O. Il a fait l’O démesuré et les autres lettres gauchement, fort embarrassé et tout honteux comme les enfants farouches.

Il est charmant pourtant et adore sa mère, mais c’est à peine s’il sait qu’il s’appelle Louis-Philippe d’Orléans. Il écrit à ses camarades, à son précepteur, à sa mère ; mais les petits billets qu’il fait, il les signe Paris. C’est le seul nom qu’il se connaisse.

Ce soir, le roi a mandé M. Régnier, précepteur du prince, et lui a donné l’ordre d’apprendre au comte de Paris à signer son nom.