Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/161

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L’appel nominal a continué.

Je ne dois pas oublier de dire que quelques instants avant moi, M. le conseiller Mesnard, appelé à son tour, avait déclaré que sa longue habitude des procès criminels comme ancien magistrat lui donnait peut-être le droit d’affirmer que l’accusé Pierre Lecomte n’offrait aucun des signes de la manie, de l’hypocondrie ou de la folie, qu’il devait par conséquent subir la responsabilité de son acte, c’est-à-dire la peine des parricides. À cette observation près, presque aucun pair ne parlait au delà de son vote qui se faisait d’une façon brève et sans rien ajouter à l’indication de la peine.

L’appel nominal s’est prolongé avec cette lugubre monotonie : la peine capitale, la peine des parricides, et est arrivé, suivant l’ordre des dates de prise de séance, jusqu’aux plus anciens pairs. Le vicomte Dubouchage, appelé à son tour, a dit :

— Jusqu’ici, dans tous les procès de cette nature, toutes les fois que la vie du roi a été menacée, j’ai voté pour la peine la plus sévère. Cette fois, déjà inquiété pendant le débat par l’attitude de l’accusé, mais pleinement éclairé par les observations de M. Victor Hugo, je déclare que, selon mon opinion, le coupable n’est pas sain d’esprit. M. le vicomte Hugo en a indiqué les motifs en peu de mots, mais d’une façon qui me paraît victorieuse. Je me rallie à son vote et je prononce comme lui la détention perpétuelle.

Les autres pairs, il n’en restait plus qu’un très petit nombre, ont voté tous la peine des parricides.

M. le chancelier, appelé le dernier, s’est levé et a dit :

— Je prononce la peine des parricides. Maintenant, un second tour d’opinion va commencer. Le premier vote n’est que provisoire, le deuxième seul est définitif. Chacun est donc libre de se rétracter ou de persister. Une opinion digne d’une profonde attention en elle-même, non moins digne de considération par la bouche dont elle émane, s’est produite avec autorité, quoique en minorité imperceptible, pendant le cours du vote. Je crois devoir déclarer ici que pendant la durée de cette longue instruction, pendant sept semaines, j’ai vu l’accusé tous les jours, je l’ai interrogé, pressé, questionné, et, comme disaient les anciens parlementaires, retourné dans tous les sens. Jamais, jamais un seul instant sa lucidité d’esprit ne s’est troublée. Je l’ai toujours trouvé raisonnant juste avec l’affreuse logique de son action, mais sans déraison comme sans repentir. Ce n’est donc pas un fou, je l’affirme. C’est un homme qui sait ce qu’il a voulu et qui accepte ce qu’il a fait. Qu’il en subisse les conséquences. Je rappelle à la Cour, pour achever d’éclairer sa religion, que la peine du parricide ne se complique plus du poing coupé. Le coupable, mené en chemise, pieds nus, la tête couverte d’un voile noir, exposé sur l’échafaud pendant la lecture de l’arrêt, voilà toute l’aggravation.