Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/202

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Le préau des femmes était beaucoup plus petit et beaucoup plus triste que le préau des hommes.

Il n’y avait qu’un carré de verdure et de fleurs fort étroit, et je ne crois pas qu’il y eût d’arbres. Au lieu de fontaine jaillissante, un lavoir dans un coin.

Une prisonnière, bras nus, y lavait son linge. Huit ou dix femmes étaient assises dans le préau, groupées ensemble, parlant, cousant et travaillant. J’ôtai mon chapeau. Elles se levèrent en me regardant avec curiosité.

C’étaient, la plupart, des espèces de demi-bourgeoises ayant des encolures de marchandes de quarante ans. Cela me parut être l’âge moyen. Il y avait pourtant deux ou trois jeunes filles.

À côté du préau il y avait une petite salle où nous entrâmes. Deux jeunes filles y étaient, l’une assise, l’autre debout. Celle qui était assise paraissait malade, l’autre la soignait.

Je demandai :

— Qu’a donc cette jeune fille ?

— Oh ! ce n’est rien, dit l’autre, grande et assez jolie brune aux yeux bleus, elle est sujette à cela. Elle se trouve un peu mal. Cela la prenait souvent à Saint-Lazare. Nous y étions ensemble. J’ai soin d’elle.

— De quoi est-elle accusée ? repris-je.

— C’est une bonne. Elle a pris six paires de bas à ses maîtres.

Cependant la malade pâlissait et perdait tout à fait connaissance. C’était une pauvre fille de seize ou dix-sept ans.

— Donnez-lui de l’air, dis-je.

La grande la prit dans ses bras comme un enfant et l’emporta dans la cour. M. Lebel envoya chercher de l’éther.

— Elle a pris six paires de bas, me dit-il, mais c’est la troisième fois.

Nous rentrâmes dans la cour. La petite était couchée sur le pavé. Toutes les prisonnières s’empressaient autour d’elle et lui faisaient respirer de l’éther. La vieille surveillante lui ôtait ses jarretières pendant que la grande brune la délaçait.

Tout en défaisant le corset, elle disait :

— Cela lui prend chaque fois qu’elle met un corset. Je t’en donnerai, des corsets ! Petite bête, va !

Dans ces mots : petite bête, va ! il y avait je ne sais quel accent tendre et compatissant.

M. Lebel tâtait le pouls à la malade. Je profitai de cela et je lui glissai une pièce de cinq francs dans la main.

Toutes se récrièrent : — Ah ! la voilà qui revient ! Pauvre petite ! — C’est parce qu’on lui a défait ses jarretières, dit l’une.