Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/213

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fredaines sont punies de quelques mois de prison ; un jour moins de seize ans, ils ont trois ans de clôture à la Roquette.

Je donnai quelque argent à ces pauvres petits diables, auxquels peut-être l’éducation seule avait manqué. À tout prendre et à tout peser, la société est plus coupable envers eux qu’ils ne sont coupables envers elle. Nous pouvions leur demander : Qu’as-tu fait de nos pêches ? soit. Mais ils pouvaient nous répondre : Qu’avez-vous fait de notre intelligence ?

— Merci, Monsieur, me dit le petit en mettant l’argent dans sa poche.

— Je t’aurais donné le double, lui dis-je, si tu n’avais pas menti.

— Monsieur, répliqua l’enfant, on m’a condamné, mais j’en rappelle.

— Que tu aies pris des pêches, c’est mal, mais c’est plus mal encore d’avoir menti.

L’enfant ne parut pas comprendre.

— J’en rappelle, dit-il.

Nous sortîmes de la cellule, et, comme la porte se refermait, l’enfant nous suivait du regard en répétant encore : — J’en rappelle.

Les deux autres n’avaient pas soufflé une parole.

Le geôlier verrouilla la porte en grommelant :

— Tenez-vous tranquilles, mes petits rats.

Ce mot me rappela que nous étions dans une souricière.

Le second compartiment était destiné aux hommes et absolument semblable au premier. Je n’y entrai pas et je me bornai à regarder par le judas. Il était plein de détenus, parmi lesquels le porte-clefs me désigna un tout jeune homme à figure douce, assez bien mis et l’air pensif. C’était un nommé Pichery, chef d’une bande de voleurs, qu’on allait juger dans quelques jours.

La troisième tranche coupée par l’architecte Peyre dans les cuisines de saint-Louis était la geôle des femmes. On nous l’ouvrit. Je n’y vis que sept ou huit prisonnières qui avaient toutes passé leurs quarante ans, à l’exception d’une femme assez jeune et ayant encore quelque reste de beauté. Cette pauvre créature se cachait derrière les autres. Je compris cette pudeur et je ne fis ni ne permis aucune question.

Toutes sortes de petits bagages de femmes, des paniers, des cabas, des sacs à ouvrage, des tricots commencés, encombraient les bancs de pierre. Il y avait aussi de gros morceaux de pain bis. Je pris ce pain. Il était couleur fumier, sentait fort mauvais, et s’attachait aux doigts comme une glu.

— Qu’est-ce que c’est ça ? dis-je à M. Lebel.

— C’est le pain de la prison.

— Mais il est abominable.

— Vous trouvez. Monsieur ?

— Voyez vous-même.