Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

6 novembre. — Les deux chefs de l’armée qui conquit Alger en 1830, Bourmont et Duperré, viennent de mourir à peu de jours de distance. Le maréchal de Bourmont commandait l’armée, l’amiral Duperré la flotte. Je n’oublierai jamais que M. de Bourmont était du nombre des généraux qui assistaient le 30 janvier 1828 aux funérailles de mon père.




19 novembre. — La police autrichienne vient de saisir le Dante dans la poche d’un voyageur français entrant en Lombardie, comme œuvre pestilentielle de l’écrit français contemporain.




5 décembre 1846.

Le 27 novembre dernier, une vieille femme appelée Mme Guérin, âgée de soixante-six ans et demeurant rue des Fossés-du-Temple, no 34, au quatrième, était malade d’une maladie qui paraissait peu grave et que le médecin avait qualifiée indigestion. Il était cinq heures du matin, sa fille, veuve, nommée Mme Guérard, qui logeait avec elle, s’était levée de bonne heure, avait allumé sa lampe et travaillait assise au coin du feu près du lit de sa mère. Tout en travaillant, la fille dit à la mère : — Tiens ! Mme Lanne doit être revenue de la campagne. — (Cette Mme Lanne était l’ancienne épicière du coin de la rue Saint-Louis et de la rue Saint-Claude, une bonne grosse femme d’une soixantaine d’années, retirée avec quarante mille livres de rente et logée au premier, boulevard Beaumarchais, no …, dans la maison neuve.) — Il faudra, ajouta Mme Guérard, que j’aille la voir aujourd’hui. — C’est inutile, dit la mère. — Pourquoi, ma mère ? — C’est qu’elle est morte il y a une heure. — Bah ! ma mère ! que dites-vous là ? rêvez-vous ? — Non, je suis bien éveillée, je n’ai pas dormi de la nuit, et comme quatre heures du matin sonnaient, j’ai vu passer Mme Lanne qui m’a dit : — Je m’en vas. Venez-vous ?

La fille crut que sa mère avait fait un rêve. Le jour vint, elle alla voir Mme Lanne. Cette femme était morte dans la nuit à quatre heures du matin. Le même soir, Mme Guérin fut prise d’un vomissement de sang. Le médecin appelé dit : — Elle ne passera pas les vingt-quatre heures. — En effet, le lendemain, à midi, un second vomissement de sang la prit et elle mourut.

J’ai connu Mme Guérin et je tiens le fait de Mme Guérard, femme pieuse et honnête qui n’a menti de sa vie.