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[LA PRISON DES CONDAMNÉS À MORT.]


Avril 1847.

La prison des condamnés à mort, placée à côté et bâtie en pendant de la prison des jeunes détenus, est une vivante et saisissante antithèse. Ce n’est pas seulement le commencement et la fin du malfaiteur qui se regardent ; c’est aussi la confrontation perpétuelle des deux systèmes pénitentiaires, la claustration cellulaire et l’emprisonnement en commun. Il suffit presque de ce vis-à-vis pour juger la question. C’est un duel sombre et silencieux entre le cachot et la cellule, entre la vieille prison et la prison nouvelle.

D’un côté, tous les condamnés pêle-mêle, l’enfant de dix-sept ans avec le vieillard de soixante-dix, le prisonnier de treize mois avec le forçat à vie, le gamin imberbe qui a chipé des pommes et l’assassin de grandes routes sauvé de la place Saint-Jacques et jeté à Toulon par les circonstances atténuantes, des presque innocents et des quasi damnés, des yeux bleus et des barbes grises, de hideux ateliers infects où se coudoient et travaillent, dans des espèces de ténèbres, à des choses sordides et fétides, sans air, sans jour, sans parole, sans regard, sans intérêt, d’affreux spectres mornes, dont les uns épouvantent par leur vieillesse, les autres par leur jeunesse.

De l’autre côté, un cloître, une ruche ; chaque travailleur dans sa cellule, chaque âme dans son alvéole ; un immense édifice à trois étages remplis de voisins qui ne se sont jamais vus ; une ville composée d’une foule de petites solitudes ; rien que des enfants, et des enfants qui ne se connaissent pas, qui vivent des années, l’un près de l’autre, sans jamais entendre ni le bruit de leurs pas, ni le son de leur voix, séparés par un mur et par un abîme ; le travail, l’étude, les outils, les livres, huit heures de sommeil, une heure de repos, une heure de jeu dans une petite cour à quatre murs, la prière soir et matin, la pensée toujours.

D’un côté un cloaque ; de l’autre une culture.

Vous entrez dans une cellule, vous trouvez un enfant debout devant un établi qu’éclaire une fenêtre à vitres dépolies dont un carreau du haut peut s’ouvrir. L’enfant est vêtu de grosse bure grise, propre, grave, paisible. Il s’interrompt, car il travaillait, et il salue. Vous l’interrogez, il répond avec un regard sérieux et une parole douce. Les uns font des serrures, douze par jour ; les autres des sculptures pour meubles ; etc., etc. Il y a autant d’états que