Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/298

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— Alors vous avez pris de l’arsenic ?

Le malade lève la tête et dit : Oui.

— Qui vous a procuré cet arsenic ?

— Personne.

— Comment cela ? Vous l’avez acheté vous-même chez un pharmacien ?

— Je l’ai apporté de Praslin.

Silence. Le duc Decazes reprend :

— Ce serait le moment pour vous, pour votre nom, pour votre famille, pour votre mémoire, pour vos enfants, de parler. S’empoisonner, c’est avouer. Il ne tombe pas sous le sens qu’un innocent, au moment où ses neuf enfants sont privés de leur mère, songe à les priver aussi de leur père. Vous êtes donc coupable ?

Silence.

— Au moins déplorez-vous votre crime ? Je vous en conjure, dites si vous le déplorez.

L’accusé lève les yeux et les mains au ciel, et dit avec une expression d’angoisse : — Si je le déplore !

— Alors, avouez ! — Est-ce que vous ne voulez pas voir le chancelier ?

L’accusé a fait un effort et a dit : — Je suis prêt.

— Eh bien, a repris le duc, je vais le faire prévenir.

— Non, a répondu le malade après un silence, je suis trop faible aujourd’hui. Demain. Dites-lui de venir demain.

Le soir, à quatre heures et demie, il était mort.

Ceci n’a pu être mis dans les actes, étant une conversation privée que M. Decazes ne répète que parce que la cour est en quelque sorte en famille.

M. Decazes ajoute ce détail ; Quand on a transféré le duc au Luxembourg, il était vêtu d’un pantalon et d’une robe de chambre. Pendant le trajet, il n’a pas vomi. Il s’est plaint seulement d’une soif insupportable. En arrivant, à cinq heures du matin, on l’a déshabillé et couché sur-le-champ. On ne lui a remis la robe de chambre et le pantalon que le lendemain, quand on l’a transporté dans la pièce voisine, pour l’interrogatoire de M. le chancelier. Après cet interrogatoire, on lui a ôté de nouveau cette robe et ce pantalon et on l’a recouché. Il ne s’est pas relevé depuis. Il est donc impossible que, même eût-il eu quelque poison dans ses poches, il ait pu s’en servir. Il est vrai qu’on ne l’a pas fouillé ; mais cela était bien inutile. On ne perdait pas de vue un de ses mouvements.

M. Barthe appelle l’attention sur le fait que l’empoisonnement a eu lieu le mercredi 19 et n’a pas été renouvelé.

M. de Boissy voudrait une punition pour ceux qui ont mal surveillé le duc. Il s’est empoisonné le mercredi à dix heures du soir.