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VI


À l’époque où Sébastiani était ambassadeur de l’empereur Napoléon près du sultan Sélim, il arriva un jour qu’un bimbachi quelconque se réfugia dans l’enceinte réservée au bain de l’ambassadeur de France, parmi les caïques de l’ambassade. Le pauvre homme était condamné à mort par l’aga des janissaires et se sauvait devant force chiaoux qu’il avait à ses trousses. Le général demanda à l’aga la grâce du bimbachi et l’obtint.

Quelques jours après, comme l’ambassadeur traversait le Bosphore, il aperçut à quelque distance la barque du janissaire aga et le personnage fumant sa pipe assis sur la poupe. Le général fit mettre une embarcation à l’eau et, jugeant la rencontre à propos, envoya Franchini à l’aga pour le remercier de la tête du bimbachi.

Franchini arrive à bord de la barque turque et s’acquitte de sa commission avec force gestes et révérences. Le turc ôte un peu sa pipe de sa bouche et répond : — Dis au général, ton maître, que je suis son ami. Il m’a demandé une tête, je la lui ai donnée, et il me remercie pour si peu de chose ! Comment donc ! dis-lui de ne pas se gêner, que je suis tout à son service, et que je suis prêt à lui accorder, quand il le voudra, non pas une tête, mais dix, mais cent, si cela lui fait plaisir. J’ai été heureux de lui faire une politesse.

Et il se remet à fumer sa pipe.