Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome I.djvu/74

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à celui de César, le poêle de velours violet semé d’abeilles ; en avant du cercueil, sur une crédence, le chapeau de Sainte-Hélène et l’épée d’Eylau ; sur le mur, à droite du cercueil, au milieu d’une rondache argentée ce mot : Wagram ; à gauche au milieu d’une autre rondache, cet autre mot : Austerlitz ; tout autour, sur la muraille, une tenture de velours violet brodée d’abeilles et d’aigles ; tout en haut, à la naissance de la voûte, au-dessus de la lampe, de l’aigle, de la couronne, de l’épée et du cercueil, une fresque et dans cette fresque l’ange du jugement sonnant de la trompette sur saint-Jérôme endormi, — voilà ce que j’ai vu d’un coup d’œil, et voilà ce qu’une minute a gravé dans ma mémoire pour ma vie.

Le chapeau, bas, large des bouts, peu usé, orné d’une ganse noire, de dessous laquelle sortait une très petite cocarde tricolore, était posé sur l’épée, dont la poignée d’or ciselé était tournée vers l’entrée de la chapelle et la pointe vers le cercueil.

Il y avait de la mesquinerie mêlée à cette grandeur. Cela était mesquin par le drap violet imprimé et non brodé, par le carton peint en pierre, par ce fer creux peint en bronze, par cet écusson de bois, par ces N de paillon, par ce cippe de toile badigeonné en granit, par ces aigles quasi-coqs. Cela était grand par le lieu, par l’homme, par la réalité, par cette épée, par ce chapeau, par cet aigle, par ces soldats, par ce peuple, par ce cercueil d’ébène, par ce rayon de soleil.

La foule était là comme devant un autel où le Dieu serait visible. Mais en sortant de la chapelle, après avoir fait cent pas, elle entrait voir la cuisine et la grande marmite. La foule est ainsi faite.




C’est avec une profonde émotion que je regardais ce cercueil. Je me rappelais qu’il n’y a pas encore un an, au mois de juillet, un M. *** s’était présenté chez moi et, après m’avoir dit qu’il était maître ébéniste dans la rue des Tournelles et mon voisin, m’avait prié de lui donner mon avis sur un objet important et précieux qu’il était chargé de « confectionner » en ce moment. Comme je m’intéresse fort aux progrès que peut faire cette petite architecture intérieure qu’on appelle l’ameublement, j’avais accueilli cette demande et j’avais suivi M. *** rue des Tournelles. Là, après m’avoir fait traverser plusieurs grandes salles encombrées et m’avoir montré une foule immense de meubles en chêne et en acajou, chaises gothiques, secrétaires à galerie estampée, tables à pieds tors, parmi lesquels j’avais admiré une vraie vieille armoire de la renaissance incrustée de nacre et de marbre, fort délabrée et fort charmante, l’ébéniste m’avait introduit dans un grand atelier plein