Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/196

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Alice a fait cette remarque : Le 13 nous poursuit. — Tout le mois de janvier nous avons été treize à table le jeudi. Nous avons quitté Paris le 13 février. Nous étions treize dans le wagon-salon, en comptant Louis Blanc, M. Bochet et les deux enfants. Nous logeons 13, rue Saint-Maur.


15 février. — À deux heures je suis allé à l’Assemblée. À ma sortie, une foule immense m’attendait sur la grande place. Les gardes nationaux qui faisaient la haie ont ôté leurs képis, et tout le peuple a crié : Vive Victor Hugo ! J’ai répondu : — Vive la République ! Vive la France ! Ils ont répété ce double cri. Puis cela a été un délire. Ils m’ont recommencé l’ovation de mon arrivée à Paris. J’étais ému jusqu’aux larmes. Je me suis réfugié dans un café du coin de la place. J’ai expliqué dans un speech pourquoi je ne parlais pas au peuple, puis je me suis évadé, c’est le mot, en voiture.

Pendant que ce peuple enthousiaste criait : Vive la République ! les membres de l’Assemblée sortaient et défilaient, impassibles, presque furieux, le chapeau sur la tête, au milieu des têtes nues et des képis agités en l’air autour de moi.

Visite des représentants Le Flô, Rochefort, Lockroy, Alfred Naquet, Emmanuel Arago, Rességuier, Floquet, Eugène Pelletan, Noël Parfait.

J’ai été coucher dans mon nouveau logement, rue de la Course.


16 février. — Aujourd’hui a eu lieu, à l’Assemblée, la proclamation des représentants de Paris. — Louis Blanc a 216,000 voix, il est le premier. — Puis vient mon nom avec 214,000. Puis Garibaldi, 200,000.

L’ovation que le peuple m’a faite hier est regardée par la majorité comme une insulte pour elle. De là, un grand déploiement de troupes sur la place (armée, garde nationale, cavalerie). Avant mon arrivée, il y a eu un incident à ce sujet. Des hommes de la droite ont demandé qu’on protégeât l’Assemblée (contre qui ? contre moi, à ce qu’il paraît). La gauche a répliqué par le cri de : Vive la République !

À ma sortie, on m’a averti que la foule m’attendait sur la grande place. Je suis sorti, pour échapper à l’ovation, par le côté du palais et non par la façade ; mais la foule m’a aperçu, et un immense flot de peuple m’a tout de suite entouré en criant : — Vive Victor Hugo ! J’ai crié : Vive la République ! Tous, y compris la garde nationale et les soldats de la ligne, ont crié : Vive la République ! J’ai pris une voiture que le peuple a suivie.

L’Assemblée a constitué aujourd’hui son bureau. Dufaure propose Thiers pour chef du pouvoir exécutif.

Nous dînerons pour la première fois chez nous, 13, rue Saint-Maur. J’ai invité Louis Blanc, Schœlcher, Rochefort et Lockroy. Rochefort n’a pu venir.