Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/222

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27 février. — Gill a fait sur moi, à propos de Ruy Blas, un très beau dessin qui paraît demain dans l’Éclipse. Je l’ai invité à dîner.


1er mars. — Jules Favre est venu me voir. Nous avons causé longuement.

Il m’a dit : — J’ai froissé le sentiment national. Je suis un homme fini. — Je l’ai rassuré et consolé, bien qu’en profond désaccord avec lui. C’est un grand talent, et je lui ai vu, en décembre 1851, un grand courage.

Et puis, je suis l’homme des vieilles amitiés.


3 mars. — M. G. P., rédacteur du Radical, m’écrit. Je ne le connais que par des articles spirituels où il m’a un peu égratigné ; il m’a taxé d’extravagance, en compagnie, il est vrai, d’Eschyle, de Shakespeare et de Beethoven. Il est à la côte. Il me le dit. Je lui envoie 100 francs.


10 mars. — Alexandre Dumas fils est venu me voir. Les journaux avaient dit qu’il m’avait appelé crétin sublime. Il a démenti le fait et est venu. Nous nous sommes serré la main. Je lui ai dit : — Le mot ne me blessait nullement. Crétin me flatte et sublime ne m’offense pas.


25 mars. — Robelin est venu. Je l’ai retenu à dîner. Nous sommes allés ensuite à Ruy Blas, loge 44, aux premières. La salle était comble. Très belle représentation. J’ai pu vérifier la justesse de ce que m’avait dit M. Duquesnel. Lafontaine a perdu, Geffroy est resté stationnaire, Mélingue a gagné. Nous avions pour ouvreuse de notre loge la vieille bonne femme Rosambeau, femme du pauvre comédien légendaire Rosambeau, auquel j’ai fait autrefois quelque bien. Ce brave Rosambeau était cousin de Mlle George.


30 mars. — Le jour où je suis allé à l’Odéon, j’ai vu Mlle Sarah Bernhardt dans sa loge. Elle s’habillait. Je note un détail : elle m’a dit que les princes d’Orléans (MM. d’Aumale et de Joinville) étaient venus trois fois à Ruy Blas, en cachette, dans une baignoire.


31 mars. — Il n’y avait plus qu’un bourreau pour toute la France. Il vient de mourir. Quand la guillotine mourra-t-elle ?


8 avril. — Trois femmes en deuil sont venues me parler pour Louise Michel. Elle ne veut rien demander. Mais elle souffre dans sa prison. Elle est à la maison centrale d’Auberives. On voudrait obtenir une commutation en bannissement. Je ferai mes efforts.