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VI


Insistons-y, un certain empiétement du présent sur l’avenir est nécessaire. Cette vague figuration de ce qui sera dans ce qui est, Paris l’esquisse. C’est pour la mieux faire saillir, et pour l’éclairer des deux côtés, que, tout à l’heure, en regard de l’avenir, nous avons placé le passé. Le fruit est bon à voir, mais maintenant retournez l’arbre, et montrez sa racine. Cette histoire qu’on vient de revoir, on peut en refaire et en varier le raccourci ; on n’en modifiera ni le sens ni le résultat. Changer l’attitude ne change point le corps.

Qu’on interroge, non les archives de l’empire, car le mot archives de l’empire s’applique seulement aux deux périodes 1804-1814 et 1852-1867, et hors de là n’a aucun sens, qu’on interroge et qu’on remue jusqu’au fond les archives de France, et, de quelque façon que la fouille soit faite, pourvu que ce soit de bonne foi, la même histoire incorruptible en sortira.

Cette histoire, qu’on la prenne telle qu’elle est, qu’on en ait la quantité d’horreur qu’elle mérite, à la condition qu’on finisse par admirer. Le premier mot est Roi, le dernier mot est Peuple. L’admiration comme conclusion, c’est là ce qui caractérise le penseur. Il pèse, examine, compare, sonde, juge, puis, s’il est tourné vers le relatif, il admire, et, s’il est tourné vers l’absolu, il adore. Pourquoi ? parce que dans le relatif il constate le progrès ; parce que dans l’absolu il constate l’idéal. En présence du progrès, loi des faits, et de l’idéal, loi des intelligences, le philosophe aboutit au respect. Le coup de sifflet final est d’un idiot.

Admirons les peuples chercheurs, et aimons-les. Ils sont pareils aux Empédocles dont il reste une sandale et aux Christophe Colombs dont il reste un monde. Ils s’en vont à leurs risques et périls dans le grand travail de l’ombre. Ils ont souvent aux mains la boue du déblaiement à tâtons. Leur reprocherez-vous les déchirures de leurs habits d’ouvriers ? Ô sombres ingrats que vous êtes !

Dans l’histoire humaine, parfois c’est un homme qui est le chercheur, parfois c’est une nation. Quand c’est une nation, le travail, au lieu de durer des heures, dure des siècles, et il attaque l’obstacle éternel par le coup de pioche continu. Cette sape des profondeurs, c’est le fait vital et permanent de l’humanité. Les chercheurs, hommes et peuples, y descendent, y plongent, s’y enfoncent, parfois y disparaissent. Une lueur les attire. Il y a un engloutissement redoutable au fond duquel on aperçoit cette nudité divine, la Vérité.

Paris n’y a point disparu.

Au contraire.

Il est sorti de 93 avec la langue de feu de l’avenir sur le front.