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front contre front, chacun avec sa pensée secrète devenue visible ; le 10 août a l’œil fixé sur le 18 brumaire. Le commissaire de police de l’Assemblée, M. Yon, a été appelé cette nuit à quatre heures près du ministre de l’intérieur. Le maréchal Bugeaud disait hier : — Quels maladroits que ces gens de Moulins qui n’ont pas même tué Ledru-Rollin ! — M. Ledru-Rollin disait de son côté à M. Ducos : — Dans trois mois je serai dictateur ou déporté.

Il ne sera ni l’un ni l’autre. Il fera du pathos violent à la tribune ; il sera ce qu’il est, non pas Éole, mais l’outre.




IV

[PHYSIONOMIE DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.]


Dans l’Assemblée constituante de 1848, les représentants étaient assez mal installés. Ils étaient assis sur des bancs rembourrés d’une façon telle quelle et recouverts de grosse serge verte, chaque représentant séparé de ses voisins par des tringles de fer courbées en cous de cygne et revêtus de serge. Le député avait devant lui une planche peinte couleur bois de sept pouces de large. Les bancs étant disposés en amphithéâtre, cette planche avait pour rebord le haut du dossier du banc inférieur qui dépassait le niveau de la planche d’un peu plus de deux pouces. Le rebord portait dans un petit encadrement de cuivre estampé le nom du représentant imprimé sur un carton blanc. À côté de cet encadrement une petite poche de cuir vert clouée grossièrement contenait quelque chose qui ressemblait à un jeu de cartes. C’étaient les petites cartes bleues et blanches destinées aux votes par scrutin de division et portant le nom du représentant avec le mot pour sur les bulletins blancs et le mot contre sur les bulletins bleus. Mode du reste fort vicieux et qui se prêtait merveilleusement aux fraudes. La planche étroite que le représentant avait devant lui formait une sorte de tablette qui régnait dans toute la longueur du banc. De distance en distance y étaient scellées des écritoires à casiers contenant tout ce qu’il fallait pour écrire, encre, poudre, pains à cacheter, plumes en fer, plumes ordinaires, etc. Ces écritoires étaient noires. Quelques représentants avaient fait ajuster à leur place des pupitres avec tiroir fermant à clef. Ce luxe coûtait sept livres dix sous. Tous les jours en arrivant à sa place, chaque représentant trouvait devant lui deux feuilles de papier blanc.

Pendant de longues séances qui duraient quelquefois sept ou huit heures, cette planche placée devant les représentants était une sorte de registre offert