Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/139

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t’aime dans ce moment même où je souffre pour toi et par toi. Pardon si je t’accable de mes lettres, je me plais à t’écrire, parce qu’il me semble que ce que je t’écris de si bonne foi, tu dois le lire de même. Cependant mes lettres sont inutiles, car tu n’y crois pas. Je suis sans doute puni de quelque faute par ce malheur, pourtant je ne me rappelle rien qui mérite un tel châtiment. Tu m’as dit que tu ne m’embrasserais plus, Adèle[1]. J’avais donc raison quand je te disais que tu te laissais embrasser comme une victime. Je ne te tourmenterai plus de mes caresses, puisque ce qui me rend si heureux te fait tant de peine. Adieu, chère, bien chère amie, pardonne-moi toutes mes importunités. J’espère te voir aujourd’hui à la messe, tu me trouveras toujours le même, comme si tu m’avais dit hier un adieu tendre et consolant. Pardonne, pardonne-moi, car tu es douce, bonne et généreuse, et moi je ne vaux rien. Mon Adèle adorée, puis-je t’embrasser sur le papier ?

Ton mari fidèle et toujours reconnaissant.


Chère amie, je ne te demande rien, ni de m’embrasser, ni de me sourire, ni même de me regarder, mais seulement de ne plus souffrir et de ne plus être irritée contre ton Victor.

  1. « ... Dis-moi un peu, Victor, est-ce permis avant d’être mariés à l’église d’embrasser son mari ? cela me tourmente beaucoup, je t’assure. Mais Dieu me pardonnera, car il sait de quelle manière je te caresse. Cher ami, je t’aime tant que c’est mon excuse. » (Reçue le samedi 9 février.)
    Dans cette même lettre, Adèle demande à Victor un conseil à propos d’un événement qui eût pu reculer leur mariage : « Encore un conseil à ton Adèle. Si maman, comme c’est à peu près certain, nous donne un petit frère, dois-je l’engager à le nourrir ? Je vais te dire pourquoi je te fais cette question, c’est que maman n’étant pas d’âge à pouvoir se charger d’un petit être toute seule, je me trouverais engagée à rester chez nous encore au moins deux ans. Si tu crois que je doive rester chez nous ce temps-là, alors je conseillerai à maman de garder ce petit innocent, mais alors il faut songer que ce sera un engagement. Je te demande ton avis là-dessus comme en tout, tu es mon arbitre. Dis-moi franchement ce que tu penses. Nous avons tous été nourris chez nous et je voudrais qu’il en fût de même pour ce petit individu ; mais en tout je ferai ce que tu voudras. Cela dépend beaucoup de moi, je désire que tu me dises ta volonté. » La réponse de Victor a dû être verbale, car on n’en trouve pas trace.