Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/156

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Pardonne-moi, toi qui es si douce et si indulgente, de te répéter encore ce que je t’ai déjà tant répété, mais quand je te parle de mon amour et de mon respect, puis-je tarir ?


Samedi, 3 heures de l’après-midi (2 mars).

Adèle, ne nous le dissimulons pas, nous venons de nous quitter peu satisfaits l’un de l’autre, après avoir fait pourtant tout notre possible pour nous satisfaire mutuellement. Du moins puis-je, moi, me rendre ce témoignage. Tu conviendras, chère amie, que tu m’as traité avec quelque sévérité et pendant et après notre conversation. Je suis revenu ici triste, quoique j’aie eu le sourire sur les lèvres jusqu’au dernier moment, mon mal de tête endormi s’est réveillé, et je ne sais en vérité si je devrais terminer cette lettre dans la disposition où je me trouve. Si donc elle contient quelque chose qui t’afflige, je te supplie avant d’être perdu dans mes réflexions de le considérer comme n’étant pas écrit. Cette prière te semble peut-être singulière, mais c’est une précaution contre l’entraînement des rêveries tristes qui m’obsèdent en ce moment. — Tu me redis souvent, Adèle, et tu m’as redit dans cet entretien, que je te laissais mon rôle à faire, ainsi qu’à tes parents. Chère amie, si j’avais vingt-cinq ans et dix mille francs de rente, tu n’aurais pas un moment à m’adresser ce reproche, je ne laisserais mon rôle à personne, il me serait si doux à remplir. J’ignore si dans ma situation je pourrais agir autrement que je fais, lorsqu’une partie de mon avenir ne dépend pas de moi, je crois qu’il y aurait peu de générosité à promettre plus que je ne serais sûr de tenir. Ce serait un lâche et misérable abus de confiance. Je montre à tes parents mes affaires telles qu’elles sont, je les dirige comme ils le désirent, je marche dans le sentier qu’ils me tracent, même quand je pencherais à suivre une autre route. En cela je ne fais que mon devoir, mais du moins je le fais et je le fais avec joie. Comment donc peux-tu dire que je te laisse remplir mon rôle ? Tu m’as fait entendre un jour que je paraissais peu désirer notre mariage. Adèle, Dieu m’est témoin que tu m’as dit cela un jour ; j’aime à croire que tu avais proféré sans y penser ces paroles incroyables. Je suis convaincu, moi, maintenant, et je n’ai que depuis une heure cette amère conviction, que ce mariage n’est vraiment désiré que de moi seul. C’est un désir bien tiède, Adèle, que celui auquel il serait indifférent d’attendre quelques années, si le monde ne parlait pas. Car, tu l’as répété toi-même tout à l’heure, c’est uniquement pour faire cesser les propos que tu désires m’épouser. J’avais admiré le désintéressement avec lequel dans une de tes dernières lettres tu disais mé-