Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/181

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Samedi (30 mars).

Je croyais trouver beaucoup de travail dans cette semaine et je n’y ai guère trouvé que beaucoup de bonheur. Ce n’est certainement pas moi qui croirai avoir perdu au change. Cependant je serais plus content encore si j’avais pu réunir le travail et le bonheur. C’est ce qui aura lieu à Gentilly et c’est pour cela que je désire tant y être installé. Là du moins plus d’importunités, plus de visites, peu de lettres, tous mes jours seront à mon Adèle et à mes ouvrages.

Je t’ai vue cette semaine cinq jours, dimanche, lundi, mercredi, jeudi et vendredi ; certes, c’est l’une des plus heureuses dont je puisse conserver le souvenir ; mais pourquoi faut-il que tous les instants que je ne puis passer près de toi, ne m’appartiennent pas ? Il faut consumer en démarches ou perdre en conversations des moments précieux ; cela m’afflige et de cœur et d’esprit ; car lorsque tu es absente, c’est dans une laborieuse retraite que je m’en aperçois le moins ; il me semble que travailler pour toi, Adèle, c’est presque être en ta présence. Il est vrai que ces ennuyeuses démarches ont aussi mon Adèle pour but ; par conséquent je ne dois pas m’en plaindre. Enfin tout cela finira, et il ne me restera de toutes ces petites contrariétés qu’une félicité immense et inaltérable.

J’envisage avec effroi les ennuis qu’entraînera pour moi la publication de cette ode et par suite celle de ce recueil si je m’y décide définitivement. Je ne songeais pas à cela quand je parlais tout à l’heure du bonheur de Gentilly ; toutes ces maudites publications m’empêcheront encore de longtemps d’en jouir pleinement. Il faudra être si souvent à Paris pour voir les imprimeurs, parler aux libraires, presser les ouvriers, corriger les épreuves, etc., que je ne sais si cette seule considération ne m’arrêtera pas. Que me conseilles-tu, mon Adèle ? Je ferai ce que tu me diras. Songe seulement que je ne te parle ici que des embarras indispensables et dont l’auteur ne peut se décharger sur personne. Que serait-ce si je te parlais de ceux qui suivent ordinairement l’impression ?

Mais je suis décidé à ne rien faire pour aider au succès. Je considère comme indigne d’un homme qui se respecte cette habitude qu’ont adoptée tous les gens de lettres d’aller mendier de la gloire près des journalistes. Beaucoup de personnes trouvent cette délicatesse exagérée, mais je suis sûr que toi, tu ne me blâmeras pas. J’enverrai mon livre aux journaux ; ils en