Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/203

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Mercredi soir [29 mai].

Je viens de lire ta lettre, ta douce et charmante lettre. J’ai fait tous les remèdes que tu m’as demandés, mais ce n’est pas sur eux que je compte pour me guérir, mon Adèle adorée, c’est sur ta lettre. Que ne peux-tu savoir, dès à présent, chère amie, combien ce peu de mots de toi m’a fait de bien ! Tu en serais contente, car tu m’aimes et il doit t’être doux de voir avec quelle passion je t’aime de mon côté. Ne me dis plus pourtant que jamais je ne comprendrai à quel point tu m’aimes. Quelle affection ne dois-je pas comprendre, Adèle, moi qui t’aime d’un amour éternel et infini ? Aime-moi autant que je t’aime, ange, et nous aurons le bonheur le plus parfait que puisse contenir la vie.

Comment peux-tu craindre que je t’abandonne jamais si j’avais le malheur de voir tout ce que j’aime au monde malade[1] ? Grand Dieu ! Adèle, il faudrait m’arracher de force de ton lit de douleur, et si l’on me repoussait aussi impitoyablement, on me verrait nuit et jour couché devant ta porte. Oh ! non, tu ne recevrais rien, n’est-ce pas, que des mains de ton Victor ? Tu supplierais avec lui tes parents de ne pas lui ôter la seule consolation qui puisse l’aider à supporter d’aussi cruelles inquiétudes, celle d’être continuellement et constamment auprès de ton lit, d’y veiller, d’y vivre. Et comment pourrais-je supporter qu’une main étrangère environne de soins, à défaut de moi, celle qui est pour moi, certes, bien plus que moi-même ? Et cela, dans le moment même où elle et moi aurions le plus besoin l’un de l’autre ! Non, mon Adèle bien-aimée, cela ne sera jamais. Ton mari sera jusqu’à et après sa mort, ton compagnon de joie et de douleur. Adèle, c’est cette idée qui remplit toute son âme et il s’y livre avec confiance. Adieu pour ce soir, les embarras des remèdes que tu m’as prescrits m’ont occupé une heure et demie et il était dix heures quand j’ai commencé à t’écrire. Adieu, mon Adèle adorée, j’achèverai demain. Je vais baiser ta lettre et tes cheveux, cela m’aidera peut-être à dormir comme j’espère que tu dors en ce moment. Adieu.

  1. « ... Promets-moi que si jamais je suis malade même avant d’être mariée aux yeux du monde, tu ne me quitteras pas du tout, que nul autre que toi ne m’approchera. » (Reçue le mercredi 29 mai.)