Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/443

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à lui, qu’il ne cache pas sa tête sous son aile ; son aile est faite pour planer dans le ciel et sa tête pour contempler le soleil.

Si ses dix-huit ans accordaient quelque droit de conseil à mes vingt-cinq (car j’y touche), je n’aurais à lui présenter que des recommandations purement matérielles. Je lui dirais d’être encore plus sévère sur la richesse de la rime, cette seule grâce de notre vers et surtout de s’efforcer presque toujours de renfermer sa pensée dans le moule de la strophe régulière. Il peut changer de rhythme aussi souvent qu’il le voudra dans la même ode, mais qu’il y ait toujours une régularité intime dans la disposition de son mètre. C’est, selon moi, le moyen de donner plus de force à la pensée, une plus large harmonie au style et plus de valeur à l’ensemble de la composition. Au reste, je ne lui donne ceci ni comme des lois, ni comme des règles, mais comme des résultats d’études, bonnes ou mauvaises, sur le génie de notre poésie lyrique. Chez lui, la pensée n’a rien à faire qu’à se développer librement. Je donne quelques conseils à l’artiste, mais je les soumets au poëte.

Adieu, monsieur, recevez de nouveau l’expression de la reconnaissance et de la haute estime avec laquelle j’ai l’honneur d’être

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Victor Hugo.


À Victor Pavie.


Paris, 7 février 1827.

Ne croyez pas, monsieur, je vous prie, que vos aimables lettres puissent jamais m’importuner. Bien au contraire, elles me rafraîchissent l’esprit. J’aime ces épanchements d’une âme jeune, ces confidences d’un cœur élevé et naïf. Les sept ans qui nous séparent me font presque vieux pour vous, et si votre amitié veut bien parfois accorder quelque déférence à la mienne, je l’accepterai par le droit d’aînesse et non par le droit du talent.

Je ne vous ai point dit assez, je ne vous ai point dit au gré de mon cœur et de mon esprit, à quel point vos vers m’ont frappé. Ils ont ce caractère qui est celui des grandes choses de notre poésie renouvelée, ce caractère de grâce et de vigueur, ce mélange de jeunesse et de maturité qui est le cachet de tous nos talents supérieurs. Vous êtes un de ces jeunes hommes du xixe siècle qui étonnent par leur gravité et leur candeur les vieillards faux et frivoles du xviiie. Vous me demandez une direction[1] ? C’est me demander ce

  1. « ... Je vous demande un plan de vie, une règle à suivre, comment étudier, comment produire, je vous demande en un mot comment tirer, en l’isolant, quelques étincelles de ce fluide qui se dégage et s’évapore sans clarté. » (Lettre du 18 janvier 1827.)