Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/48

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moi ? Que je t’ai vue au Luxembourg le 23 avril et que j’ai réfléchi amèrement que, le 23 avril 1820, je t’avais donné le bras pour la dernière fois ?

Te dirais-je combien de fois, le soir, en revenant de mes promenades solitaires, je me suis arrêté à l’extrémité de la rue d’Assas, devant la lumière de la fenêtre ? Combien de fois j’ai pensé, en revoyant les nouvelles feuilles, aux heures que nous passions ensemble dans ton jardin ; si tu t’asseyais, c’était près de moi, si tu marchais, ton bras s’appuyait sur le mien ; ta main ne fuyait pas ma main, nos regards se rencontraient toujours, et si j’osais quelquefois te presser sur mon cœur, tu ne me repoussais qu’en souriant. Adèle, Adèle, voilà tout ce que j’ai perdu !

Je suis trop agité de ces souvenirs pour continuer, brisons là. Je reprendrai ce soir.


Minuit.

Ainsi, dans quelques heures, Adèle, je te verrai, je te parlerai, je recevrai une lettre de toi ; ces heures vont passer bien lentement, plus lentement encore peut-être que l’éternel mois d’avril. Dis-moi, mon amie, t’a-t-il semblé aussi long qu’à moi, ce mois d’isolement ? As-tu songé, comme moi, avec délices au 28 avril ? Hélas ! pourvu que tu y aies quelquefois pensé avec plaisir, c’est tout ce que j’ose espérer.

Du moins, tu as sans doute adouci la rigueur excessive de ta première décision, tu as eu pitié de moi. Nous nous verrons désormais une fois par semaine, n’est-il pas vrai ? et tu tâcheras que nous puissions passer quelque temps ensemble. Tu ne sais pas ce dont je me flatte en ce moment-ci même, peut-être follement ? c’est que demain tu n’auras pas le courage de me quitter aussi vite qu’à l’ordinaire. Nous pourrons entrer un instant dans le jardin des Bains, qui est désert, pour que ton bras repose encore une fois sur le mien, pour que je puisse te contempler à mon aise, bonheur dont il y a si longtemps que je n’ai joui. N’est-ce pas, Adèle, que tu ne me refuseras pas ? — Je suis un fou ! Tu ne me regarderas seulement pas, tu me donneras en cachette un billet que tu auras écrit à regret, tu m’adresseras à peine trois paroles, comme un ange qui parlerait à un diable, et tu disparaîtras sans que j’aie eu la force de t’adresser une prière pour obtenir un moment d’entretien, prière que tu te ferais un bonheur de prévenir, si tu pouvais m’aimer comme je t’aime.

Vois, Adèle, le hasard ou mon bon génie s’intéressent plus à moi que toi ; tu m’avais interdit de te voir tout ce mois-ci ; eh bien, ils m’ont plusieurs fois conduit près de toi malgré toi. C’est ainsi que le 16 juillet dernier, je te