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À Monsieur Alphonse de Lamartine,
à son château de Saint-Point, près Mâcon.


Paris, 7 septembre 1830.

Entre votre lettre et cette réponse, mon cher ami, il y a une révolution. Le 28 juillet, au moment où j’allais vous écrire, la canonnade m’a fait tomber la plume des mains. Depuis, dans ce tourbillon qui nous enveloppe et nous donne le vertige, il m’a été impossible de rallier trois pensées de poésie et d’amitié. La fièvre prend toutes les têtes et il n’y a pas moyen de se murer contre les impressions du dehors ; la contagion est dans l’atmosphère, elle vous gagne malgré vous : plus d’art, plus de théâtre, plus de poésie en un pareil moment. Les Chambres, le pays, la nation, rien que cela. On fait de la politique comme on respire.

Cependant, ce tremblement de terre passé, j’ai la conviction que nous retrouverons notre édifice de poésie debout et plus solide de toutes les secousses auxquelles il aura résisté. C’est aussi une question de liberté que la nôtre, c’est aussi une révolution : elle marchera intacte à côté de sa sœur la politique. Les révolutions comme les loups ne se mangent pas.

Votre lettre m’a ravi. C’est de bien bonne, douce et cordiale prose, mais j’attends les vers maintenant. N’oubliez pas que vous me les avez promis.

Adieu. Où êtes-vous ? que faites-vous ? quand revenez-vous ? Moi j’avais mes inquiétudes domestiques au milieu de cette révolution sociale. Ma femme était en mal d’enfant pendant que les balles brisaient les ardoises de notre toit. Elle est accouchée, et j’ai quatre enfants à l’heure qu’il est.

Tout cela va bien. Tout cela vous aimera et vous admirera un jour comme je vous aime et vous admire.

Victor Hugo.

Mettez-moi aux pieds de madame de Lamartine.