Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/513

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trempées de sang[1] ! Nous aurons un jour une république, et quand elle viendra, elle sera bonne. Mais ne cueillons pas en mai le fruit qui ne sera mûr qu’en août. Sachons attendre. La république proclamée par la France en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs. Mais il ne faut pas souffrir que des goujats barbouillent de rouge notre drapeau. Il ne faut pas, par exemple, qu’un Frédéric Soulié[2], dévoué il y a un an à la quasi-censure dramatique de M. d’Argout[3], clabaude à présent en plein café qu’il va fondre des balles. Il ne faut pas qu’un Fontan[4] annonce en plein cabaret pour la fin du mois quatre belles guillotines permanentes dans les quatre places principales de Paris. Ces gens-là font reculer l’idée politique qui avancerait sans eux. Ils effrayent l’honnête boutiquier qui devient féroce du contre-coup. Ils font de la république un épouvantail. 93 est un triste asticot. Parlons un peu moins de Robespierre et un peu plus de Washington.

Adieu. Nous nous rencontrerons bientôt, j’espère. Je travaille beaucoup en ce moment. Je vous approuve de tout ce que vous avez fait, en regrettant que la protestation n’ait pas paru. En tout cas, mon ami, maintenez ma signature près de la vôtre.

Votre frère,
Victor[5].


Au baron Taylor.


Ce jeudi, 7 septembre [1832].

Je pars, mon cher Taylor, après-demain samedi, à une heure après midi ; je reviendrai à Paris exprès pour la lecture[6] ; mais comme je serai obligé de retourner dîner à Bièvre[7] à six heures, et qu’il y a trois heures de chemin, il faudra absolument que la lecture soit finie à trois heures au plus tard, et par conséquent qu’elle ait commencé au plus tard à dix heures et demie du matin. Je vous serai donc reconnaissant de faire la convocation de ce jour-là pour dix heures. Je serai forcé, moi, de me lever à six heures du matin ; c’est une dure extrémité, mais je m’y résigne. Vous trouverez ci-contre une ébauche de la distribution. J’aurais bien besoin de vos bons conseils pour

  1. « ... Oh ! mon ami, si vous daignez penser une demi-heure à ces infamies, que vos poésies politiques seront belles et flétrissantes ! » 11 juin 1832. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à Mme  Victor Hugo. Revue de Paris, 15 janvier 1905.
  2. Frédéric Soulié auteur de plusieurs drames ; l’un d’eux eut un grand succès : la Closerie des genêts. Malgré ces mots contre Frédéric Soulié, Victor Hugo estimait l’écrivain, il le prouva deux fois : par le discours qu’il prononça à ses funérailles, et par le secours qu’il fit obtenir ensuite à son père dont la situation était précaire.
  3. Comte d’Argout, pair de France, plusieurs fois ministre. Sénateur en janvier 1852.
  4. Fontan, auteur dramatique, fut emprisonné sous Charles X pour ses idées révolutionnaires.
  5. Archives Spoelherch de Lovenjoul.
  6. Le Roi s’amuse venait d’être reçu au Théâtre-Français.
  7. Aux Roches, chez M. Bertin.