Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/590

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Je suis fier du succès de mon discours à Bel-Air. C’est tout simplement la parole honnête et convaincue d’un homme personnellement désintéressé dans les questions, qui est dévoué avant tout à la civilisation, à la pensée et à son pays. Avoir un écho dans votre cœur, c’est de la gloire pour moi.

Continuez, mon bien cher et bien excellent confrère, aimez ceux qui vous aiment et écrivez pour ceux qui vous comprennent.


À M. Pierre Vinçard[1].


2 juillet 1841.
Monsieur,

Puisque vous me faites l’honneur de m’envoyer votre article[2], je le considère comme une lettre, et j’y réponds. Je n’ai pas dit : la populace, j’ai dit : les populaces. Dans ma pensée, ce pluriel est important. Il y a une populace dorée comme il y a une populace déguenillée ; il y a une populace dans les salons, comme il y a une populace dans les rues. À tous les étages de la société, tout ce qui travaille, tout ce qui pense, tout ce qui aide, tout ce qui tend vers le bien, le juste et le vrai, c’est le peuple ; à tous les étages de la société, tout ce qui croupit par stagnation volontaire, tout ce qui ignore par paresse, tout ce qui fait le mal sciemment, c’est la populace. En haut : égoïsme et oisiveté ; en bas : envie et fainéantise : voilà les vices de ce qui est populace. Et, je le répète, on est populace en haut aussi bien qu’en bas. J’ai donc dit qu’il fallait aimer le peuple ; un plus sévère eût ajouté peut-être : et haïr la populace. Je me suis contenté de la dédaigner.

Ce que je ne dédaigne pas, monsieur, c’est la plainte d’un homme de cœur et de bonne foi, même quand il est injuste. Je cherche à l’éclairer : c’est pour moi un devoir de conscience. Ce devoir, vous voyez, monsieur, que je tâche de le remplir.

Recevez, je vous prie, l’assurance de mes sentiments très distingués.

Victor Hugo[3].
  1. Rédacteur en chef de la Ruche populaire et ouvrier.
  2. L’article, publia dans la Ruche populaire, reprochait à Victor Hugo certain passage de son discours de réception qu’il jugeait injurieux pour le peuple.
  3. Cette lettre était accompagnée de la note ci-jointe que nous a communiquée M. Matarosso, libraire :
    « Voici, Monsieur, l’épreuve corrigée. Il serait indispensable, pour me mettre à couvert vis-à-vis de mes éditeurs, que vous eussiez la bonté de faire précéder cette lettre de quelques lignes disant en substance que M. Victor Hugo, sur la demande de la Ruche populaire, a autorisé ce journal à publier cette lettre adressée par lui à M. Vinçard qui lui avait envoyé son article.
    « L’énonciation de ce fait est indispensable, je le répète, à cause de mes conventions particulières avec mes éditeurs. Ces mêmes conventions m’obligent de vous rappeler que j’attends de votre bonne grâce l’envoi du numéro qui contiendra cette lettre ainsi que celui qui a publié ma lettre à votre collaborateur M. Savinien. — Au besoin j’acquitterai le prix de ces deux numéros.
    « Je vous prie, monsieur, de vouloir bien m’accuser réception de cette lettre et agréer l’assurance de mes sentiments très distingués et très sympathiques. »
    « Victor Hugo.