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À Toto[1].


Luz, 25 août [1843].

J’étais hier, mon cher petit Toto, au bord d’un lac vert et charmant qui est à quatre mille pieds de hauteur dans la montagne et qui a douze cent cinquante pieds de profondeur. Rien de plus gracieux et de plus joli que ce lac. — L’eau en est glaciale. — Si l’on y tombe, on est mort. — C’est ce qui est arrivé il y a deux ans à deux jeunes mariés dont le tombeau est au bord du lac sur un rocher. J’y ai cueilli cette petite fleur. Je te l’envoie pour la joindre à l’autre. Celle-ci s’appelle une cinéraire. Elle est bien nommée, comme tu vois, venant sur un tombeau. Le lac s’appelle le lac de Gaube.

À propos d’eau froide, garde-toi bien, cher enfant, de l’eau de la mer, à moins que M. Louis[2] ne te permette d’en prendre des bains chauds. As-tu songé à le lui demander ? Il faudrait lui écrire pour cela.

Moi, je prends toujours des bains de soufre en compagnie d’une foule de lions qui viennent de Paris et d’ours qui viennent de la montagne. Les lions ont des gants jaunes, les ours ont la chaîne au cou ; les ours ont l’air philosophe, les lions ont l’air bête. On fait danser les ours et les lions les regardent ; si les ours n’avaient pas la chaîne au cou et la muselière au nez, ce sont eux qui feraient danser les lions.

Tout cela veut dire, mon enfant chéri, que je veux te faire rire et que je t’aime. Porte-toi bien, soigne-toi bien, aime-moi bien. Le petit point noir va bientôt approcher.

C’est maintenant à La Rochelle, poste restante, qu’il faut m’écrire. Je te charge, mon Toto, de le rappeler à tout le monde[3].


À Madame Victor Hugo.


Cognac, 2 septembre 1843.

Je t’écris, chère amie, un mot en toute hâte. Depuis huit jours, je voyage jour et nuit sans m’arrêter, ni me reposer un instant. J’ai quitté les Pyrénées, j’ai visité Tarbes, Auch, Agen, Bergerac, Périgueux, Angoulême, Jarnac,

  1. Inédite.
  2. Le docteur Louis, médecin de l’Hôtel-Dieu et de la Pitié, était connu par ses recherches sur la fièvre typhoïde.
  3. Collection Louis Barthou.