Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/637

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Vous le voyez, madame, je voudrais bien vous trouver injuste ; mais je suis forcé de vous trouver charmante. J’ai eu tort et vous avez raison. J’ai eu tort de ne me souvenir que de votre beauté. Vous avez raison de ne vous souvenir que de ma hardiesse. Je m’en punirai de la façon la plus cruelle et je sais bien comment.

Veuillez donc, madame, excuser dans votre gracieux esprit ces licences immémoriales des poëtes qui tutoient en vers les rois et les femmes, et permettez-moi de mettre, en prose, mes plus humbles respects à vos pieds.

Dimanche, midi [15 août 1847].


À Henry Mürger,[1]
28, rue de la Victoire.
[18 septembre 1847.]

La lettre est écrite, monsieur, et sera au comité en même temps que votre demande[2]. Je suis honteux pour mon époque et pour mon pays que des hommes de votre talent n’aient pas devant eux une belle et large carrière de travail. Tout le monde profiterait, vous et nous. Dans tous les cas, je suis heureux de vous appuyer.

Croyez à mes plus affectueux sentiments.

Victor Hugo[3].
  1. Henry Mürger avait quatorze ans quand il écrivit pour la première fois à Victor Hugo ; il sollicitait une entrée à l’Opéra pour assister à une représentation de la Esmeralda. Plusieurs fois il eut recours au poète dont l’appui ne lui fit jamais défaut. Gagné par la fièvre romantique, Mürger accumula vers et prose et vécut, mal, de ce qu’il trouvait à placer çà et là. Il dirigea un journal de modes. Enfin, en 1847, il fit paraître dans le Corsaire les Premières scènes de la Vie de Bohème qu’il réunit ensuite en un volume ; ce fut le commencement de la célébrité ; la pièce qu’il tira, en collaboration avec Théodore Barrière, de son roman, lui ouvrit les journaux et les revues. Il écrivit trois romans et un délicieux petit acte : Le bonhomme Jadis, qu’on joue encore au Théâtre-Français. Mürger mourut avant d’avoir atteint quarante ans, miné par une vie de misère et de travail.
  2. « ... Une impérieuse nécessité m’oblige à m’adresser au Comité des Gens de lettres pour le prier de patronner une demande de secours que j’adresse au ministre de l’Intérieur... J’ai pensé, Monsieur, qu’un mot de vous adressé en ma faveur au Comité déciderait ses membres à tenter une démarche auprès du ministre… Ma demande au Comité lui arrivera le lundi 19 septembre. » Lettre de Mürger, 17 septembre 1847.
  3. Communiquée par la librairie P. Bérès.