Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/86

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cette poésie rêveuse et pure, à laquelle les connaissances positives n’ajoutent rien, qui revêt toutes ses pensées fantastiques d’images vivantes, qui se nourrit d’amour, de dévouement, d’enthousiasme, et révèle aux êtres généreux les mystères les plus secrets de leurs âmes. Cette poésie, Adèle, tu la comprendras toujours parce que tu es bonne, douce, noble et simple. Qu’importe le reste ? Que sont auprès de ces divines inspirations, de ces illuminations idéales, les sciences laborieuses, incertaines et souvent fausses des hommes ? Elles dessèchent la vie, et la poésie, cette poésie que je puise dans tes regards, dans ton sourire, la charme et la console. Pardon, je ne sais où je vais, mais parler de poésie, c’est presque encore parler de toi.

Hier, mon Adèle, j’ai passé une ravissante soirée, laisse-moi t’en reparler. Qu’il est doux de se pardonner quand on s’aime ! Adèle, il me reste cependant un remords, tu as pleuré, je t’ai fait pleurer, grand Dieu ! Chère amie, oh ! pardonne-moi, que ne donnerais-je pas pour racheter les larmes que tu as versées en silence près de moi et à cause de moi ! Hélas ! devrais-tu pleurer, toi qui es tout mon bonheur ! Non, je ne me le pardonnerai pas et plus j’y pense, plus je me trouve coupable. Cependant, si je t’ai blessée, chère et pauvre amie, ce n’est que par excès d’amour. J’avais moi-même si cruellement souffert en croyant que tu ne me suivais que par complaisance et avec déplaisir !... Oh ! dis-moi que tu me pardonnes, et souris pour me consoler de tes larmes ! Adieu, mon Adèle adorée, tu ne diras pas que cette lettre est courte. J’y joins quelques vers que j’ai faits pour ta fête, en des heures de tristesse et d’abattement[1]. Je ne devrais peut-être pas te les donner, mais ils te prouveront combien je pense à toi.

Adieu, adieu, écris-moi bien long et remplis les lignes jusqu’au bout. Je t’embrasse et je te jure que tu ne pleureras plus à cause de moi.

Ton mari,
Victor.
  1. À toi. Ces vers ont été publiés dans le premier recueil de Victor Hugo : Odes et poésie diverses.