Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/95

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Samedi 4 heures[1].

On me remet à l’instant cette lettre[2]. Elle servira d’enveloppe à la mienne. Dans d’autres circonstances, je ne songerais même pas à te la montrer. Mais il serait fort possible, mon Adèle, que ce fût une légèreté de ma part de répudier les avances d’un homme puissant et après notre petite querelle de samedi dernier, il n’est pas inutile que je te montre cette lettre. Que m’importent tous ces hommes ? Le bonheur de te voir est seul tout pour moi et je ne m’en priverai certes pas pour eux[3]. Qu’ils me laissent à ma retraite et à mon Adèle. Cette invitation, mon Adèle, est un holocauste à ton autel. Je n’en parlerai pas à tes parents. Ils me blâmeraient peut-être de l’avoir mise à néant. Je suis tenté de rire de ces personnages qui cherchent à m’attirer avec leur pouvoir ou leur rang, moi qui ne me soucie que de l’amour. J’éprouve un secret plaisir à te sacrifier, à toi, ma divinité ignorée, toutes ces éclatantes idoles. Je m’embarrasse bien de leur crédit, de leurs louanges, de leurs recommandations, j’ai une Adèle qui m’aime. Ceux qui veulent faire de moi un homme glorieux et brillant ignorent étrangement mon caractère, mes goûts et mes projets.

Adieu, mon adorée Adèle, n’attache pas à ce petit sacrifice d’ennui plus d’importance qu’il n’en a. Cette lettre m’a contrarié et je m’en venge en agissant comme si elle n’avait pas été écrite. Je veux être obscur, parce que je veux être heureux.

Je t’embrasse tendrement.

Ton fidèle,Victor.
  1. Inédite.
  2. « M. le Comte de Chabrol, préfet de la Seine, et Mme  la Comtesse de Chabrol prient M. Victor Hugo, membre de l’Académie des Jeux Floraux, de leur faire l’honneur de venir dîner chez eux le samedi 29 décembre à 5 heures 1/2. » Sous cette invitation, ces quelques lignes ajoutées par Alissan de Chazet : « C’est moi que M. de Chabrol charge de vous remettre cette invitation ; je dîne chez lui et je serai charmé de vous y voir aujourd’hui à 5 heures 1/2. Mille amitiés. A. de Chazet. »
  3. Rappelons qu’il ne voyait Adèle que tous les huit jours, le samedi.