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À une dame[1].


Paris, 15 octobre 1839.

J’ai lu, madame, avec un intérêt croissant de page en page, le manuscrit que vous avez bien voulu me communiquer. Je vous renvoie ce doux et gracieux volume. Il y a dans vos vers la rêverie profonde et sérieuse de la femme et par moments la vivacité éblouissante de la jeune fille. De là une foule de reflets étincelants et rapides sur les côtés les plus sombres de votre poésie. On pourrait dire d’elle ce que le cardinal de Retz disait, je crois, de madame de Chevreuse : Une langueur charmante avec des réveils lumineux et surprenants. Votre esprit est composé de gravité et de candeur comme l’esprit de tous les vrais poëtes ; vous parlez de tout comme un sage et vous rêvez sur tout comme un enfant.

Imprimez vos vers, madame, on les lira. On les lira parce qu’ils sont nobles, on les lira parce qu’ils sont tendres, on les lira parce qu’ils sont beaux ; on les lira parce qu’il y a dans ce siècle beaucoup de choses viles, méchantes et laides, et parce qu’un livre comme le vôtre repose la pensée et console le cœur. Or qui n’a pas besoin d’être consolé ? qui n’a pas besoin d’être reposé ? Nous sommes fatigués et tristes ; fatigués de ce que nous faisons, tristes de ce qu’on nous fait.

Et puis après tout, que vous importe le succès ? Je refuse aux poëtes le droit de se plaindre quand les hommes leur font défaut ; n’ont-ils pas la nature et Dieu ? Hé, madame, il y aura au printemps prochain des fleurs, des feuilles, des prés verts, des ruisseaux joyeux et murmurants, des arbres qui frissonneront et des oiseaux qui chanteront dans un rayon de soleil. Que vous importe le reste ! que vous fait la célébrité ? N’avez-vous pas la poésie ? Que vous fait le misérable sou vert-de-grisé, sans effigie et sans empreinte ? N’avez-vous pas le sequin d’or ?

Agréez, madame, mes hommages respectueux.

Victor Hugo[2].


1840


À Auguste Vacquerie[3].


21 janvier 1840.

Voici enfin, mon poëte, ce que je vous ai fait stupidement attendre si

  1. Brouillon de lettre inédite.
  2. Archives de la famille de Victor Hugo.
  3. Inédite.