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LE RHIN.

l’oratoire, trois choses m’ont frappé presque à la fois : à ma gauche, une charmante petite chaire du seizième siècle très spirituellement inventée et très délicatement coupée dans le chêne noir ; un peu plus loin, la grille du chœur, modèle rare et complet de l’exquise serrurerie du quinzième siècle ; vis-à-vis de moi, une fort belle tribune à pilastres trapus et à arcades basses, dans le style de notre arrière-renaissance, que je suppose avoir été pratiquée là pour la triste reine réfugiée Marie de Médicis.

À l’entrée du chœur, dans une élégante armoire rococo, étincelle et reluit une vraie madone italienne chargée de paillettes et de clinquants, ainsi que son bambino. Au-dessous de cette opulente madone aux bracelets et aux colliers de perles on a mis, comme antithèse apparemment, un massif tronc pour les pauvres, façonné au douzième siècle, enguirlandé de chaînes et de cadenas de fer et à demi enfoncé dans un bloc de granit grossièrement sculpté. On dirait un billot scellé dans un pavé.

Comme je levais les yeux, j’ai vu pendre à l’ogive au-dessus de ma tête des bâtons dorés attachés par un bout à une tringle transversale. À côté de ces bâtons il y a une inscription : — Quot pendere vides baculos, tot episcopus annos huic Agrippinæ præfuit ecclesiæ. — J’aime cette façon sévère de compter les années, et de rendre perpétuellement visible aux yeux de l’archevêque le temps qu’il a déjà employé ou perdu. Trois bâtons pendent à la voûte en ce moment.

Le chœur, c’est l’intérieur de cette abside célèbre qui est encore à cette heure, pour ainsi dire, toute la cathédrale de Cologne, puisque la flèche manque au clocher, la voûte à la nef et le transept à l’église.

Dans ce chœur les richesses abondent. Ce sont des sacristies pleines de boiseries délicates, des chapelles pleines de sculptures sévères ; des tableaux de toutes les époques, des tombeaux de toutes les formes ; des évêques de granit couchés dans une forteresse, des évêques de pierre de touche couchés sur un lit porté par une procession de figurines éplorées, des évêques de marbre couchés sous un treillis de fer, des évêques de bronze couchés à terre, des évêques de bois agenouillés devant des autels ; des lieutenants généraux du temps de Louis XVI accoudés sur leurs sépulcres ; des chevaliers du temps des croisades gisant avec leur chien qui se frotte amoureusement contre leurs pieds d’acier ; des statues d’apôtres vêtues de robes d’or ; des confessionnaux de chêne à colonnes torses ; de nobles stalles canonicales ; des fonts baptismaux gothiques qui ont la forme d’un cercueil ; des retables d’autel chargés de statuettes ; de beaux fragments de vitraux ; des annonciations du quinzième siècle sur fond d’or avec les riches ailes multicolores en dessus, blanches en dessous, de leur ange qui regarde et convoite presque la Vierge ; des tapisseries peintes sur des dessins de Rubens ; des grilles de