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COLOGNE.

maison même où soixante-cinq ans auparavant, en 1577, Rubens, son peintre, était né.

Le dôme de Cologne, revu au grand jour, dépouillé de ce grossissement fantastique que le soir prête aux objets et que j’appelle la grandeur crépusculaire, m’a paru, je dois le dire, perdre un peu de sa sublimité. La ligne en est toujours belle, mais elle se profile avec quelque sécheresse. Cela tient peut-être à l’acharnement avec lequel l’architecte actuel rebouche et mastique cette vénérable abside. Il ne faut pas trop remettre à neuf les vieilles églises. Dans cette opération, qui amoindrit les lignes en voulant les fixer, le vague mystérieux du contour s’évanouit. À l’heure qu’il est, comme masse, j’aime mieux le clocher ébauché que l’abside parfaite. Dans tous les cas, n’en déplaise à quelques raffinés qui voudraient faire du dôme de Cologne le Parthénon de l’architecture chrétienne, je ne vois, pour ma part, aucune raison de préférer ce chevet de cathédrale à nos vieilles Notre-Dame complètes d’Amiens, de Reims, de Chartres et de Paris.

J’avoue même que la cathédrale de Beauvais, demeurée, elle aussi, à l’état d’abside, à peine connue, fort peu vantée, ne me paraît inférieure, ni pour la masse, ni pour les détails, à la cathédrale de Cologne.

L’hôtel de ville de Cologne, situé assez près du dôme, est un de ces ravissants édifices-arlequins faits de pièces de tous les temps et de morceaux de tous les styles qu’on rencontre dans les anciennes communes qui se sont elles-mêmes construites, lois, mœurs et coutumes, de la même manière. Le mode de formation de ces édifices et de ces communes est curieux à étudier. Il y a eu agglomération plutôt que construction, croissance successive, agrandissement capricieux, empiétement sur les voisinages ; rien n’a été fait d’après un plan régulier et tracé d’avance ; tout s’est produit au fur et à mesure, selon les besoins surgissants.

Ainsi l’hôtel de ville de Cologne, qui a probablement quelque cave romaine dans ses fondations, n’était vers 1250 qu’un grave et sévère logis à ogives comme notre Maison-aux-Piliers ; puis on a compris qu’il fallait un beffroi pour les tocsins, pour les prises d’armes, pour les veilleurs de nuit, et le quatorzième siècle a édifié une belle tour, bourgeoise et féodale tout à la fois ; puis, sous Maximilien, le souffle joyeux de la renaissance commençait à agiter les sombres feuillages de pierre des cathédrales, un goût d’élégance et d’ornement se répandait partout, les échevins de Cologne ont senti le besoin de faire la toilette de leur maison de ville ; ils ont appelé d’Italie quelque architecte élève du vieux Michel-Ange, ou de France quelque sculpteur ami du jeune Jean Goujon, et ils ont ajusté sur leur noire façade du treizième siècle un porche triomphant et magnifique. Quelques années plus tard, il leur a fallu un promenoir à côté de leur greffe, et ils