LETTRE XVIII.
Bacharach.
Je suis en ce moment dans les vieilles villes les plus jolies, les plus honnêtes et les plus inconnues du monde. J’habite des intérieurs de Rembrandt avec des cages pleines d’oiseaux aux fenêtres, des lanternes bizarres au plafond, et, dans le coin des chambres, des degrés en colimaçon qu’un rayon de soleil escalade lentement. Une vieille femme et un rouet à pieds tors bougonnent dans l’ombre ensemble à qui mieux mieux.
J’ai passé trois jours à Bacharach, façon de cour des Miracles oubliée au bord du Rhin par le bon goût voltairien, par la révolution française, par les batailles de Louis XIV, par les canonnades de 97 et de 1805, et par les architectes élégants et sages qui font des maisons en forme de commodes et de secrétaires. Bacharach est bien le plus antique monceau d’habitations humaines que j’aie vu de ma vie. Auprès de Bacharach, Oberwesel, Saint-Goar et Andernach sont des rues de Rivoli et des cités Bergère. Bacharach est l’ancienne Bacchi Ara. On dirait qu’un géant, marchand de bric-à-brac, voulant tenir boutique sur le Rhin, a pris une montagne pour étagère et y a disposé du haut en bas, avec son goût de géant, un tas de curiosités énormes. Cela commence sous le Rhin même. Il y a là, à fleur d’eau, un rocher volcanique selon les uns, un peulven celtique selon les autres, un autel romain selon les derniers, qu’on appelle l’Ara Bacchi. Puis, au bord du fleuve, deux ou trois vieilles coques de navires vermoulues, coupées en deux et plantées debout en terre, qui servent de cahutes à des pêcheurs ;