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LE RHIN.

d’attention et en nettoyant la lame avec une poignée d’herbes, j’ai trouvé sur la statue des gravures étranges. Trois chiffres étaient tracés à trois endroits différents ; celui-ci sur la main droite XXX ; celui-là sur la main gauche XXX ; et cet autre à la place de la tête :

Tiré de : Hugo - Le Rhin. Lettres à un ami (lettre XX). Troisième monogramme du chevalier inconnu de la stèle de Falkenburg.
Tiré de : Hugo - Le Rhin. Lettres à un ami (lettre XX). Troisième monogramme du chevalier inconnu de la stèle de Falkenburg.
Or, ces trois chiffres ne sont que des combinaisons variées du même monogramme. Chacun des trois est composé des trois X que le graveur de l’épitaphe a fait saillir dans l’inscription. Si cette tombe eût été en Bretagne, ces trois X eussent pu faire allusion au combat des trente ; si elle eût daté du dix-septième siècle, ces trois X eussent pu indiquer la guerre de trente ans ; mais, en Allemagne et au quatorzième siècle, quel sens pouvaient-ils avoir ? Et puis, était-ce le hasard qui, pour épaissir l’obscurité, n’avait employé dans la formation de ce chiffre funèbre d’autre élément que cette lettre X, qui barre l’entrée de tous les problèmes et qui désigne l’Inconnu ? — J’avoue que je n’ai pu sortir de cette ombre. Du reste, je me rappelais que cette façon de voiler, tout en la signalant, la tombe et la mémoire de l’homme décapité est propre à toutes les époques et à tous les peuples. À Venise, dans la galerie ducale du grand conseil, un cadre noir remplace le portrait du cinquante-septième doge, et, au-dessous, la morne république a écrit ce memento sinistre :
LOCVS MARINI FALIERI DECAPITATI.

En Égypte, quand le voyageur fatigué arrive à Biban-el-Molouk, il trouve dans les sables, parmi les palais et les temples écroulés, un sépulcre mystérieux, qui est le sépulcre de Rhamsès V, et sur ce sépulcre il voit cette légende :

Et cet hiéroglyphe, qui raconte l’histoire au désert, signifie : qui est sans tête.

Mais en Égypte comme à Venise, au palais ducal comme à Biban-el-