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LE RHIN.

— Ce sont les oiseaux qui le disent, répondit le paysan.

— Vous êtes un vieux fou, brave homme, dit Pécopin.

Et il passa outre.

Environ une heure après, comme il traversait une clairière, il entendit une sonnerie de cor et il vit paraître dans la futaie une belle troupe de cavaliers ; c’était le comte palatin qui allait en chasse, accompagné des burgraves, qui sont les comtes des châteaux ; des wildgraves, qui sont les comtes des forêts ; des landgraves, qui sont les comtes des terres ; des rhingraves, qui sont les comtes du Rhin ; et des raugraves, qui sont les comtes du droit du poing. Un cavalier gentilhomme du pfalzgraf, nommé Gaïrefroi, aperçut Pécopin et lui cria :

— Holà, beau chasseur ! ne venez-vous pas avec nous ?

— Où allez-vous ? dit Pécopin.

— Beau chasseur, répondit Gaïrefroi, nous allons chasser un milan qui est à Heimburg et qui détruit nos faisans ; nous allons chasser un vautour qui est à Vaugstberg et qui extermine nos lanerets ; nous allons chasser un aigle qui est à Rheinstein et qui tue nos émerillons. Venez avec nous.

— Quand serez-vous de retour ? demanda Pécopin.

— Demain, dit Gaïrefroi.

— Je vous suis, dit Pécopin.

La chasse dura trois jours. Le premier jour Pécopin tua le milan, le second jour Pécopin tua le vautour, le troisième jour Pécopin tua l’aigle. Le comte palatin s’émerveilla d’un si excellent archer.

— Chevalier de Sonneck, lui dit-il, je te donne le fief de Rhineck, mouvant de ma tour de Gutenfels. Tu vas me suivre à Stahleck pour recevoir l’investiture et me prêter le serment d’allégeance, en mail public et en présence des échevins, in mallo publico et coram scabinis, comme disent les chartes du saint empereur Charlemagne.

Il fallait obéir. Pécopin envoya à Bauldour un message dans lequel il lui annonçait tristement que la gracieuse volonté du pfalzgraf l’obligeait de se rendre sur-le-champ à Stahleck pour une très grande et très grosse affaire.

— Soyez tranquille, madame ma mie, ajoutait-il en terminant, je serai de retour le mois prochain.

Le messager parti, Pécopin suivit le palatin et alla coucher, avec les chevaliers de la suite du prince, dans la châtellenie basse à Bacharach. Cette nuit-là il eut un rêve. Il revit en songe l’entrée de la forêt de Sonneck, la métairie, les quatre arbres et les quatre oiseaux ; les oiseaux ne criaient, ni ne sifflaient, ni ne chantaient, ils parlaient. Leur ramage, auquel se mêlaient