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LE RHIN.


IV

où il est traité des diverses qualités
propres aux diverses ambassades.

Pécopin était un gentilhomme de renommée, de race, d’esprit et de mine. Une fois introduit à la cour du pfalzgraf et installé dans son nouveau fief, il plut à ce point à ce palatin, que ce digne prince lui dit un jour :

— Ami, j’envoie une ambassade à mon cousin de Bourgogne, et je t’ai choisi pour ambassadeur, à cause de ta gentille renommée.

Pécopin dut faire ce que voulait son prince. Arrivé à Dijon, il se fit si bien distinguer par sa belle parole, que le duc lui dit un soir, après avoir vidé trois larges verres de vin de Bacharach :

— Sire Pécopin, vous êtes notre ami ; j’ai quelque démêlé de bec avec monseigneur le roi de France, et le comte palatin permet que je vous envoie près du roi, car je vous ai choisi pour ambassadeur, à cause de votre grande race.

Pécopin se rendit à Paris. Le roi le goûta fort, et, le prenant à part un matin :

— Pardieu, chevalier Pécopin, lui dit-il, puisque le palatin vous a prêté au bourguignon pour le service de la Bourgogne, le bourguignon vous prêtera bien au roi de France pour le service de la chrétienté. J’ai besoin d’un très noble seigneur qui aille faire certaines remontrances de ma part au miramolin des maures en Espagne, et je vous ai choisi pour ambassadeur à cause de votre bel esprit.

On peut refuser son vote à l’empereur, on peut refuser sa femme au pape ; on ne refuse rien au roi de France. Pécopin fit route pour l’Espagne. À Grenade, le miramolin l’accueillit à merveille et l’invita aux zambras de l’Alhambra. Ce n’étaient chaque jour que fêtes, courses de cannes et de lances et chasses au faucon, et Pécopin y prenait part en grand jouteur et en grand chasseur qu’il était. En sa qualité de moricaud, le miramolin avait de bons lanerets, d’excellents sacrets et d’admirables tuniciens, et il y eut à ces chasses les plus belles volées imaginables. Cependant Pécopin n’oublia pas de faire les affaires du roi de France. Quand la négociation fut terminée, le chevalier se présenta chez le sultan pour lui faire ses adieux.

— Je reçois vos adieux, sire chrétien, dit le miramolin, car vous allez en effet partir tout de suite pour Bagdad.

— Pour Bagdad ! s’écria Pécopin.