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LÉGENDE DU BEAU PÉCOPIN.

Jamais concile de chiens ne fut plus complet. Il y avait là tous les chiens possibles, accouplés et divisés par grappes et par raquettes, selon les races et les instincts. Le premier groupe se composait de cent dogues d’Angleterre et de cent lévriers d’attache, avec douze paires de chiens-tigres et douze paires de chiens-bauds. Le deuxième groupe était entièrement formé de greffiers de Barbarie blancs et marquetés de rouge, braves chiens qui ne s’étonnent pas du bruit, demeurent trois ans dans leur bonté, sont sujets à courir au bétail et servent pour la grande chasse. Le troisième groupe était une légion de chiens de Norvège : chiens fauves, au poil vif tirant sur le roux, avec une tache blanche au front ou au cou, qui sont de bon nez et de grand cœur et se plaisent au cerf surtout ; chiens gris, léopardés sur l’échine, qui ont les jambes de même poil que les pattes d’un lièvre ou cannelées de rouge et de noir. Le choix en était excellent. Il n’y avait pas un bâtard parmi ces chiens. Pécopin, qui s’y connaissait, n’en vit pas parmi les fauves un seul qui fût jaune ou marqué de gris, ni parmi les gris un seul qui fût argenté ou qui eût les pattes fauves. Tous étaient authentiques et bons. Le quatrième groupe était formidable ; c’était une cohue épaisse, serrée et profonde, de ces puissants dogues noirs de l’abbaye de Saint-Aubert-en-Ardennes, qui ont les jambes courtes et qui ne vont pas vite, mais qui engendrent de si redoutables limiers et qui chassent si furieusement les sangliers, les renards et les bêtes puantes. Comme ceux de Norvège, tous étaient de bonne race et vrais chiens gentilshommes, et avaient évidemment tété près du cœur. Ils avaient la tête moyenne, plutôt longue qu’écrasée, la gueule noire et non rouge, les oreilles vastes, les reins courbés, le râble musculeux, les jambes larges, la cuisse troussée, le jarret droit bien herpé, la queue grosse près des reins et le reste grêle, le poil de dessous le ventre rude, les ongles forts, le pied sec, en forme de pied de renard. Le cinquième groupe était oriental. Il avait dû coûter des sommes immenses ; car on n’y avait mis que des chiens de Palimbotra, qui mordent les taureaux, des chiens de Cintiqui, qui attaquent les lions, et des chiens du Monomotapa, qui font partie de la garde de l’empereur des Indes. Du reste, tous, anglais, barbaresques, norvégiens, ardennais et hindous, hurlaient abominablement. Un parlement d’hommes n’eût pas fait mieux.

Pécopin était ébloui de cette meute. Tous ses appétits de chasseur se réveillaient.

Cependant elle était un peu venue on ne sait d’où, et il ne pouvait s’empêcher de se dire à lui-même qu’il était singulier qu’aboyant de la sorte, on ne l’eût pas entendue avant de la voir.

Le maître valet qui menait toute cette vénerie était à quelques pas de