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MAYENCE.

mêle quelquefois aux grandes choses une effrayante précision géométrique, en 1794, la compagne de Charlemagne s’est réveillée. Sa vieille ville de Mayence était bombardée, son église de Saint-Alban croulait dans l’incendie, sa tombe était ouverte. On ne sait ce que ses ossements sont devenus à cette époque. La pierre de son tombeau a été transportée dans la cathédrale.

Aujourd’hui, un pauvre bon vieux suisse en perruque aventurine, vêtu d’une espèce d’uniforme d’invalide, raconte cela aux passants.

Outre les tombeaux, les châssis à statuettes, les tableaux-volets à fond d’or, les bas-reliefs d’autels, chacune des deux absides a son ameublement spécial. La vieille abside de 978, ornée de deux charmants escaliers byzantins, s’arrondit autour d’une magnifique urne baptismale en bronze du quatorzième siècle. Sur la face extérieure de cette vaste piscine sont sculptés les douze apôtres et saint Martin, patron de l’église. Le couvercle a été brisé pendant le bombardement. Sous l’empire, époque de goût, on a coiffé la vasque gothique d’une espèce de casserole.

L’autre abside, la plus grande et la moins ancienne, est occupée et, pour ainsi dire, encombrée par une grosse boiserie de chœur en chêne noir où le style tourmenté et furieux du dix-huitième siècle se déploie et s’insurge contre la ligne droite avec tant de violence, qu’il atteint presque la beauté. Jamais on n’a mis au service du mauvais goût un ciseau plus délicat, une fantaisie plus puissante, une invention plus variée. Quatre statues, Crescentius, premier évêque de Mayence en 70 ; Boniface, premier archevêque en 755 ; Willigis, premier électeur en 1011, et Bardo, fondateur du dôme en 1050, se tiennent gravement debout sur le pourtour du chœur, dominé au-dessus du dais asiatique de l’archevêque par le groupe équestre de saint Martin et du pauvre. À l’entrée du chœur se dressent, dans toute la pompe mystérieuse du grand prêtre hébraïque, Aaron, qui représente l’évêque du dedans, et Melchisédech, qui figure l’évêque du dehors.

L’archevêque de Mayence, comme les princes-évêques de Worms et de Liège, comme les archevêques de Cologne et de Trèves, comme le pape, réunissait dans sa personne le double pontife. Il était à la fois Aaron et Melchisédech.

C’est une sombre et superbe halle romane que la salle capitulaire qui avoisine le chœur, et qui répète avec la splendide menuiserie Pompadour l’antithèse des deux gros clochers. Là, rien qu’un grand mur nu, un pavé poudreux bossué par les reliefs des tombes, un reste de vitrail à la fenêtre basse, un tympan colorié figurant saint Martin, non en cavalier romain, mais en évêque de Tours ; trois grandes sculptures du seizième siècle, qui sont le Crucifiement, la Sortie du tombeau, et l’Ascension ; autour de la salle un