Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/288

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
LE RHIN.

le Petersberg garde la route de Trèves et de Cologne, l’Ehrenbreitstein surveille le Rhin et la route de Nassau.

Comme paysage, Coblentz est peut-être trop vantée, surtout si on la compare à d’autres villes du Rhin que personne ne visite et dont personne ne parle. Ehrenbreitstein, jadis belle et colossale ruine, est maintenant une glaciale et morne citadelle qui couronne platement un magnifique rocher. Les vraies couronnes des montagnes, c’étaient les anciennes forteresses. Chaque tour était un fleuron.

Quelques-unes de ces villes ont d’inestimables richesses d’art et d’archéologie. Les plus vieux maîtres et les plus grands peintres peuplent leurs musées. Le Dominiquin, les Carrache, le Guerchin, Jordaens, Snyders, Laurent Sciarpelloni, sont à Mayence. Augustin Braun, Guillaume de Cologne, Rubens, Albert Durer, Mesquida, sont à Cologne. Holbein, Lucas de Leyde, Lucas Cranach, Scorel, Raphaël, la Vénus endormie de Titien, sont à Darmstadt. Coblentz a l’œuvre complet d’Albert Durer, à quatre feuilles près. Mayence a le psautier de 1459. Cologne avait le fameux missel du château de Drachenfels, colorié au douzième siècle ; elle l’a laissé perdre ; mais elle a conservé et elle garde encore les précieuses lettres de Leibnitz au jésuite de Brosse.

Ces belles villes et ces charmants villages sont mêlés à la nature la plus sauvage. Les vapeurs rampent dans les ravins ; les nuées accrochées aux collines semblent hésiter et choisir le vent ; de sombres forêts druidiques s’enfoncent entre les montagnes dans les lointains violets ; de grands oiseaux de proie planent sous un ciel fantasque qui tient des deux climats que le Rhin sépare, tantôt éblouissant de rayons comme un ciel d’Italie, tantôt sali de brumes rousses comme un ciel du Groënland. La rive est âpre ; les laves sont bleues, les basaltes sont noirs ; partout le mica et le quartz en poussière ; partout des cassures violentes ; les rochers ont des profils de géants camards. Des croupes d’ardoises feuilletées et fines comme des soies brillent au soleil et figurent des dos de sangliers énormes. L’aspect de tout le fleuve est extraordinaire.

Il est évident qu’en faisant le Rhin la nature avait prémédité un désert ; l’homme en a fait une rue.

Du temps des romains et des barbares, c’était la rue des soldats. Au moyen âge, comme le fleuve presque entier était bordé d’états ecclésiastiques, et tenu, en quelque sorte, de sa source à son embouchure, par l’abbé de Saint-Gall, le prince-évêque de Constance, le prince-évêque de Bâle, le prince-évêque de Strasbourg, le prince-évêque de Spire, le prince-évêque de Worms, l’archevêque-électeur de Mayence, l’archevêque-électeur de Trèves et l’archevêque-électeur de Cologne,