Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
LE RHIN.



LETTRE XXVI.
Worms. — Mannheim.


Nuit tombante. — Dissertation profonde et hautement philosophique sur les appellations sonores. — Le voyageur croit être un moment Micromégas se baissant et cherchant une ville à terre dans l’herbe. — À quoi bon avoir été une grande chose ? — Les quatorze églises de Worms. — Le pauvre hère et le gros gaillard. — Dialogues. — Un monosyllabe accompagné de son commentaire. — Dans quel cas un aubergiste est majestueux. — Ô inégale nature ! — Le voyageur a peur des fées et des revenants. — Il prend le parti d’adresser de plates flatteries à la lune. — Un spectre. — À quel genre d’exercice se livrait ce spectre. — Autre monosyllabe accompagné d’un autre commentaire. — Où le lecteur apprend dans quels endroits se mettent les vieux numéros d’un vieux journal. — Le spectre devient de plus en plus aimable et caressant. — Entrée à Worms. — Par malheur, le voyageur connaît si bien le Worms d’autrefois, qu’il ne reconnaît plus le Worms d’à présent. — Ce qu’on s’expose à voir quand on regarde par le trou des serrures. — Saint Ruprecht. — Mélancolie à propos d’un garçon tonnelier. — L’auberge du Faisan (qui est peut-être l’auberge du Cygne, à moins que ce ne soit l’auberge du Paon. Lecteur, défiez-vous de l’auteur sur ce point). — À quoi étaient occupés deux hommes dans la salle à manger, et ce que faisait un troisième. — Éloquence d’un sot. — Le voyageur continue de décrire le gîte. — La chambre à coucher. — Le tableau de chevet du lit. — Deux amants s’enfuyant à travers une épouvantable orthographe. — L’auteur se promène dans Worms. — Allocution aux parisiens. — L’agonie d’une ville. — Ce que Perse et Horace ont dit de la Petite-Provence qui est aux Tuileries. — Conseils indiscrets aux jeunes niais qui gâtent le costume des hommes en France à l’heure qu’il est. — La cathédrale de Worms. — Le dehors. — L’intérieur. — Le temple luthérien. — Mannheim. — L’unique mérite de Mannheim. — Par quelles gens Mannheim serait admiré. — Encore la figure de rhétorique que le bon Dieu prodigue. — Intéressante inscription recueillie à Mannheim.


Bords du Neckar, octobre.

La nuit tombait. Ce je ne sais quel ennui qui saisit l’âme à la disparition du jour se répandait sur tout l’horizon autour de nous. Qui est triste à ces heures-là ? est-ce la nature ? est-ce nous-mêmes ? Un crêpe blanc montait des profondeurs de cette immense vallée des Vosges, les roseaux du fleuve bruissaient lugubrement, le dampfschiff battait l’eau comme un gros chien fatigué ; tous les voyageurs, appesantis ou assoupis, étaient descendus dans la cabine, encombrée de paquets, de sacs de nuit, de tables en désordre et de gens endormis ; le pont était désert ; trois étudiants allemands y étaient seuls restés, immobiles, silencieux, fumant, sans faire un