LETTRE XXIX.
Strasbourg.
Me voilà à Strasbourg, mon ami. J’ai ma fenêtre ouverte sur la place d’Armes. J’ai à ma droite un bouquet d’arbres, à ma gauche le Munster, dont les cloches sonnent à toute volée en ce moment, devant moi au fond de la place une maison du seizième siècle, fort belle, quoique badigeonnée en jaune avec contrevents verts ; derrière cette maison, les hauts pignons d’une vieille nef où est la bibliothèque de la ville ; au milieu de la place, une baraque en bois d’où sortira, dit-on, un monument pour Kléber ; tout autour, un cordon de vieux toits assez pittoresques ; à quelques pas de ma fenêtre, une lanterne-potence au pied de laquelle baragouinent quelques gamins allemands, blonds et ventrus. De temps en temps, une svelte chaise de poste anglaise, calèche ou landau, s’arrête devant la porte de la Maison-Rouge — que j’habite, — avec son postillon badois. Le postillon badois est charmant ; il a une veste jaune vif, un chapeau noir verni à large galon d’argent, et porte en bandoulière un petit cor de chasse avec une énorme touffe de glands rouges au milieu du dos. Nos postillons, à nous, sont hideux ; le postillon de Longjumeau est un mythe ; une vieille blouse crottée avec un affreux bonnet de coton, voilà le postillon français. Maintenant, sur le tout, postillon badois, chaise de poste, gamins allemands, vieilles maisons, arbres, baraques et clocher, posez un joli ciel mêlé de bleu et de nuages, et vous aurez une idée du tableau.