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LE RHIN.

tumulaires verdies de mousse ; on use avec les talons les blasons ciselés et les faces sévères des chevaliers du Brisgaw, fiers gentilshommes qui jadis n’auraient pas enduré sur leurs visages la main d’un prince, et qui maintenant y souffrent le pied d’un bouvier.

Avant d’entrer au chœur, il faut admirer deux portiques exquis de la renaissance, situés, l’un à droite, l’autre à gauche, dans les bras de la croisée ; puis, dans une chapelle grillée, au fond d’une petite caverne dorée, on entrevoit un affreux squelette vêtu de brocart d’or et de perles, qui est saint Alexandre, martyr ; puis deux lugubres chapelles, également grillées et qui se regardent, vous arrêtent ; l’une est pleine de statues, c’est la Cène, Jésus, tous les apôtres, le traître Judas ; l’autre ne contient qu’une figure, c’est le Christ au tombeau ; deux funèbres pages, dont l’une achève l’autre, le verso et le recto de ce merveilleux poëme qu’on appelle la Passion. Des soldats endormis sont sculptés sur le sarcophage du Christ.

Le sacristain s’est réservé le chœur et les chapelles de l’abside. On entre, mais on paie. Du reste, on ne regrette pas son argent. Cette abside, comme celles de Flandre, est un musée, et un musée varié. Il y a de l’orfèvrerie byzantine, il y a de la menuiserie flamboyante, il y a des étoffes de Venise, il y a des tapisseries de Perse, il y a des tableaux qui sont de Holbein, il y a de la serrurerie-bijou qui pourrait être de Biscornette. Les tombeaux des ducs de Zæhringen, qui sont dans le chœur, sont de très belles lames noblement sculptées ; les deux portes romanes des petits clochers, dont l’une à dentelures, sont fort curieuses ; mais ce que j’ai admiré surtout, c’est, dans une chapelle du fond, un Christ byzantin, d’environ cinq pieds de haut, rapporté de Palestine par un évêque de Freiburg. Le Christ et la croix sont en cuivre doré rehaussé de pierres brillantes. Le Christ, façonné d’un style barbare, mais puissant, est vêtu d’une tunique richement ouvragée. Un gros rubis non taillé figure la plaie du côté. La statue en pierre de l’évêque, adossée au mur voisin, le contemple avec adoration. L’évêque est debout ; il a une fière figure barbue, la mitre en tête, la crosse au poing, la cuirasse sur le ventre, l’épée au côté, l’écu au coude, les bottes de fer aux jambes et le pied posé sur un lion. C’est très beau.

Je ne suis pas monté au clocher. Freiburg est dominé par une grande colline, presque montagne, plus haute que le clocher. J’ai mieux aimé monter sur la colline. J’ai d’ailleurs été payé de ma peine par un ravissant paysage. Au centre, à mes pieds, la noire église avec son aiguille de deux cent cinquante pieds de haut ; tout autour, les pignons taillés de la ville, les toits à girouettes, sur lesquels les tuiles de couleur dessinent des arabesques ; çà et là, parmi les maisons, quelques vieilles tours carrées de l’ancienne enceinte ; au delà de la ville, une immense plaine de velours vert frangée de