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LE RHIN.



LETTRE XXXVI.
Zurich.


Il pleut. — Description d’une chambre. — Reflet du dehors dans l’intérieur. — Le voyageur prend le parti de fouiller dans les armoires. — Ce qu’il y trouve. — Amours secrètes et aventures honteuses de Napoléon Buonaparté. — Le livre. — Les estampes. — 1814. — 1840. — Choses curieuses. — Choses sérieuses. — Il pleut.


Septembre.

J’ai quitté l’hôtel de l’Épée. Je suis venu me loger dans la ville, n’importe où. Je n’ai plus la mauvaise auberge, mais je n’ai plus la vue du lac. Il y a des moments où je regrette en bloc le méchant dîner et le magnifique paysage.

Avant-hier, c’était un de ces moments-là. Il pleuvait. J’étais enfermé dans la chambre que j’habite ; — une petite chambre triste et froide, ornée d’un lit peint en gris à rideaux blancs, de chaises à dossier en lyre, et d’un papier bleuâtre bariolé de ces dessins sans goût et sans style qu’on retrouve indistinctement sur les robes des femmes mal mises et sur les murs des chambres mal meublées. J’avais ouvert la fenêtre, qui est une de ces hideuses fenêtres d’il y a cinquante ans qu’on appelait fenêtres-guillotines, et je regardais mélancoliquement la pluie tomber. La rue était déserte ; toutes les croisées de la maison d’en face étaient fermées ; pas un profil aux vitres, pas un passant sur ce pavage de petits cailloux ronds et noirs que la pluie faisait reluire comme des châtaignes mûres. La seule chose qui animât le paysage, c’était la gouttière du toit voisin, espèce de gargouille en fer-blanc figurant une tête d’âne à bouche ouverte, d’où la pluie tombait à flots ; une pluie jaune et sale qui venait de laver les tuiles et qui allait laver le pavé. Il est triste qu’une chose prenne la peine de tomber du ciel sans autre résultat que de changer la poussière en boue.

J’étais retenu au gîte ; le gîte était médiocrement plaisant. Que faire ? La Fontaine a fait le vers de la circonstance. Je songeais donc. Par malheur, j’étais dans une de ces situations d’âme que vous connaissez sans doute, où l’on n’a aucune raison d’être triste et aucun motif d’être gai ; où l’on est également incapable de prendre le parti d’un éclat de rire ou d’un torrent de larmes ; où la vie semble parfaitement logique, unie, plane, ennuyeuse et triste ; où tout est gris et blafard au dedans comme au dehors. Il faisait