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LE RHIN.



LETTRE IV.
De Villers-Cotterets à la frontière.


Le dernier calembour de Louis XVIII. — Dangers qu’on peut courir dans un tire-bottes. — La plaine de Soissons vue le soir. — Le voyageur regarde les étoiles. — Celui qui passe contemple ce qui demeure. — I. C. — Soissons. — Phrase de César. — Mot de Napoléon. — Silhouette de Saint-Jean-des-Vignes. — Le voyageur voit une voyageuse. — Sombre rencontre. — Vénus. — Paysage crépusculaire. — Ce qu’on voit de Reims en malle-poste. — La Champagne parfaitement pouilleuse. — Rethel. — Où donc est la forêt des Ardennes ? — De qui le déboisement est fils. — Mézières. — Ce qu’on y cherche. — Ce qu’on y trouve. — Le miracle de la bombe. — Comment un dieu devient un saint. — Sedan. — Le voyageur se recueille et cherche des choses dans son esprit. — Une médiocre statue au lieu d’un beau château. — Sedan y perd. — Turenne n’y gagne pas. — Aucune trace du sanglier des Ardennes. — Cinq lieues à pied. — Un peu de Meuse. — On court après un verre d’eau, on tombe sur un saucisson. — Un goîtreux. — Charleville. — La place ducale et la place royale. — Rocroy. — Les dialogues nocturnes qu’on entend en diligence. — Un carillon se mêle à la conversation, dans la bonne et évidente intention de désennuyer le voyageur. — Entrée à Givet.


Givet, 29 juillet.

Cette fois j’ai fait du chemin. Cher ami, je vous écris aujourd’hui de Givet, vieille petite ville qui a eu l’honneur de fournir à Louis XVIII son dernier mot d’ordre et son dernier calembour (Saint-Denis, Givet), et où je viens d’arriver à quatre heures du matin, moulu par les cahots d’un affreux chariot qu’ils appellent ici la diligence. J’ai dormi deux heures tout habillé sur un lit, le jour est venu, et je vous écris. J’ai ouvert ma fenêtre pour jouir du site qu’on aperçoit de ma chambre et qui se compose de l’angle d’un toit blanchi à la chaux, d’une antique gouttière de bois pleine de mousse et d’une roue de cabriolet appuyée contre un mur. Quant à ma chambre en elle-même, c’est une grande halle meublée de quatre vastes lits, avec une immense cheminée en menuiserie, ornée à l’extérieur d’un tout petit miroir et à l’intérieur d’un tout petit fagot. Sur le fagot est posé délicatement à côté d’un balai un tire-bottes énorme et antédiluvien, taillé à la serpe par quelque menuisier en fureur. La baie fantastique pratiquée dans ce tire-bottes imite les sinuosités de la Meuse ; et il est presque impossible d’en arracher son pied, si l’on a l’imprudence de l’y engager. On court risque de se promener, comme je viens de le faire, dans toute l’auberge, le