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LE RHIN.

imitait la scintillation stellaire par une sorte de flamboiement farouche ; et, un peu au-dessus, brillait doucement, avec son apparence de blanche et paisible étoile, cette planète-monstre, ce monde effrayant et mystérieux que nous nommons Saturne. De l’autre côté, tout au fond du paysage, un magnifique phare à feu tournant, bleu, écarlate et blanc, rayait de sa rutilation éblouissante les sombres coteaux qui séparent Noyon du Soissonnais. Au moment où je me demandais ce que pouvait faire ce phare en pleine terre, dans ces immenses plaines, je le vis quitter le bord des collines, franchir les brumes violettes de l’horizon et monter vers le zénith. Ce phare, c’était Aldébaran, le soleil tricolore, l’énorme étoile de pourpre, d’argent et de turquoise, qui se levait majestueusement dans la vague et sinistre blancheur du crépuscule.

Ô mon ami, quel secret y a-t-il donc dans ces astres, que tous les poëtes, depuis qu’il y a des poëtes, tous les penseurs, depuis qu’il y a des penseurs, tous les songeurs, depuis qu’il y a des songeurs, ont tour à tour contemplés, étudiés, adorés, les uns, comme Zoroastre, avec un confiant éblouissement, les autres, comme Pythagore, avec une inexprimable épouvante ! Seth a nommé les étoiles comme Adam avait nommé les animaux. Les chaldéens et les généthliaques, Esdras et Zorobabel, Orphée, Homère et Hésiode, Cadmus, Phérécyde, Xénophon, Hécatæus, Hérodote et Thucydide, tous ces yeux de la terre, depuis si longtemps éteints et fermés, se sont attachés de siècle en siècle avec angoisse à ces yeux du ciel toujours ouverts, toujours allumés, toujours vivants. Ces mêmes planètes, ces mêmes astres que nous regardons aujourd’hui, ont été regardés par tous ces hommes. Job parle d’Orion et des Hyades ; Platon écoutait et entendait distinctement la vague musique des sphères ; Pline croyait le soleil dieu et imputait les taches de la lune aux fumées de la terre. Les poëtes tartares nomment le pôle senesticol, ce qui veut dire clou de fer. Quelques rêveurs, pris d’une sorte de vertige, ont osé railler les constellations. Le Lion, dit Rocoles, pourrait tout außi aisément être appelé un singe. Pacuvius, fort peu rassuré pourtant, tâche de s’étourdir et de ne point croire aux astrologues, sous prétexte qu’ils seraient égaux à Jupiter :


Nam si qui, quæ eventura sunt, provideant,
Æquiparent Jovi.


Favorinus se fait cette question redoutable : Si les causes de tout ne sont pas dans les étoiles ? Si vitæ mortisque hominum rerumque humanarum omnium et ratio et causa in cœlo et apud stellas foret ? Il croit que l’influence sidérale descend jusqu’aux mouches et aux vermisseaux, muscis aut vermiculis, et, ajoute-t-il, jusqu’aux hérissons, aut echinis. Aulu-Gelle, faisant voile d’Égine au Pirée,