Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
les gorges d’ollioules.


La route de Marseille à Toulon sort de Marseille par la porte de Rome, passe près d’un obélisque insignifiant, et s’éloigne, un peu comme les routes qui s’en vont de Paris, plus côtoyée de murs que d’arbres. Jusqu’à Cuges, les bastides éparses dans la campagne avec leur puits et leur inévitable mûrier, les jardins plantés d’oliviers et garantis du vent du nord par un paravent de cyprès, de grands roseaux qui ont un faux air de bambous, quelques pins d’Italie çà et là, des collines à têtes crépues couvertes de petits chênes kermès bas comme la bruyère et épineux comme le houx, l’Aubagne, chétive rivière bourbeuse ombragée de micocouliers, des vignes — sans échalas, — des buissons d’une espèce d’atriplex qu’ils appellent le buis blanc, bordent le chemin.

Je suis descendu dans une charmante prairie piquée de mille étoiles, jaunes et blanches en septembre comme les nôtres en avril ; je croyais n’y trouver que des boutons d’or et des marguerites, il y avait plus de vingt espèces de fleurs différentes. En Provence, le rayon du soleil fait pétiller dans l’herbe une végétation éblouissante.

L’horizon, qui est fort beau, se compose des dernières articulations des Alpes Cottiennes.

Cuges est un assez joli bourg posé dans une sorte de grande terrine verte formée de hautes collines et sans la moindre cassure. On ne peut arriver à Cuges qu’en descendant, on n’en peut sortir qu’en montant. L’eau, qui descend, mais qui ne monte pas, s’amasse l’hiver au fond de la terrine et y fait une façon de lac.

On déjeune admirablement à Cuges. On y a bien des clovisses au lieu d’huîtres, du fromage de brebis au lieu de beurre et des jujubes au lieu de prunes ; mais la table est couverte de becfigues et de rouges-gorges, de tranches de thon grillé, de dorades et de rougets, de figues violettes et de raisins roses, le tout convenablement assaisonné d’ail et d’huile.

C’était hier. Pendant que je déjeunais, le marché se tenait sous la fenêtre de l’auberge, dans une petite place, autour d’un grand arbre dont le tronc fait le dossier d’un banc de pierre circulaire. Hommes et femmes s’accostaient bruyamment avec tous ces gestes provençaux qui accentuent la moindre causerie. Les figues et les pastèques abondaient. De magnifiques poissons, amoncelés en pyramides, emplissaient les paniers de roseaux de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Quelques enfants, à côté de moi,